vendredi 26 novembre 2010

Ze Chau Meust Gau Honne...

J'aime bien Bipep's.

Bipep's, c'est l'élève que tu n'oublies pas dès la première rencontre, dès la première heure de cours. Tu le repères direct grâce à sa petite taille qui le fait rapidement passer pour un môme de 7 ans avant même qu'il n'ouvre la bouche. Et le problème de Bipep's, c'est que quand il l'ouvre, sa bouche, ben il a encore et toujours 7 ans. Malgré le fait qu'il soit officiellement (c'est marqué sur son carnet de liaison, je vous mens pas...) en 4ème.

Bipep's, c'est "Passepartout et ses clés" au milieu des "Chiffres et des Lettres", "Pokémon" perdu dans le monde de "Plus belle la vie"...un garçon à qui tu collerais une bise quand il te sourit le matin mais qui semble complètement perdu dans une stratosphère vraiment très très éloignée de ton petit monde étriqué de prof hyper-matérialiste. Bipep's au pays des Bisounours.

A priori, pas de soucis. Sauf quand on demande à Bipep's de faire genre t'es un élève de 4ème genre, genre en plus dans une 4ème option cinéma assez hétérogène mais où t'as quand meme quelques pointures du genre je réfléchis avant de l'ouvrir. Double peine pour Bipep's, il y est complètement largué. Et du coup, passe bien souvent pour un gentil clown, un peu jet-laggué. enfin, je pense en mon joli for intérieur (si si...) que Bipep's est plusieurs, d'où le "s" terminal de son pseudo...

"Pokémon Jekyll et Passepartout Hyde". Vous l'aviez rêvé, Bahutland vous l'a créé.

Alors oui, je vous le cache pas, Bipep's est un tantinet difficile à gérer. Un gars de 13 ans dans un corps et une tête de CE1, un bisounours du pays des rêves bleus confronté à la réalité d'un collège cho cho cho, ça fait un peu beaucoup pour une seule pers....pardon plusieurs personnes. Et forcément, les perles qui jaillissent de ce petit corps feraient probablement pâlir de jalousie Elizabeth II et ses joyaux. On tient là une collection éblouissante, dont voici quelques extraits...

1.Si vous oubliez de donner la parole à Bipep's, qui agite son bras de 11 cm le plus haut possible en se tortillant sur sa chaise, Bipep's vient alors jusqu'à vous au bureau, vous prend le menton dans sa main façon "je te tiens tu me tiens par la barbichette" et vous regarde dans les yeux "monsieur je vous parle là !". la première fois, c'est déstabilisant, mais on s'habitue vite, tel une assistante maternelle s'occupant des petiots à la crèche.

2.Bipep's a ce besoin irrépressible de se triturer l'entre-jambes toutes les 45 minutes, de frétiller alors sur sa chaise de manière légèrement hystérique, et de répondre à une question hyper sérieuse type technique cinématographique :
"Bipep's, pourquoi le réalisateur a décidé de passer du plan américain au très gros plan dans cette scène ?
- Monsieur, j'a pipi."
C'est déstabilisant aussi, mais...(revenir au point 1.)

3. Mais c'est probablement quand on s'attaque à la culture générale que Bipep's déploie toute sa force, et démontre son talent hors-pair à être totalement à fond ET complètement à côté de la plaque.

* Séquence adaptation cinématographique :
"Vous connaissez des pièces de théâtre qui sont devenus des films ?
- Les 101 dalmatiens !"

* Séquence intégrale du film AO (docu-fiction sur le dernier homme de Néanderthal)
- Mais M'sieu, comment ils ont fait pour trouver un homme comme ça encore ! En fait, ou alors, parce que, quand même, en fait je crois hein m'sieu, en fait c'est ça oui ça y est j'ai compris - en général, on a le cheminement de l'esprit de Bipep's en direct live, faut juste être patient...- en fait, c'est que le film il est tout vieux en fait, il est du temps des mammouths le film ! Et pourquoi y'a pas de dinosaures avec ?"

* séquence Western :
"alors, quelqu'un vient entourer sur la carte des USA la région appelée Far West. Bipep's ?"
Et Bipep's me trace une belle grosse patate sur l'Océan Atlantique.
"Bipep's, tu as déjà vu un western sous-marin ?
- Ben ouais, comme quand c'est qu'ils se mettent sur un radeau en bois et qu'il y a du courant et qu'ils font presque comme s'ils tombent alors qu'en fait pas, qu'ils restent secs...

A un moment donné, faut couper le son. Question de santé mentale.

Finalement, l'option cinéma sied parfaitement à Bipep's. Car Bipep's vit dans un film, un mix entre film d'aventures, film fantastique et film d'animation. Bipep's au pays des Merveilles. Et pour l'en extirper, c'est le calvaire. Mais y tient-on forcément ? Pour ma part, c'est si agréable d'avoir un Bipep's en classe, parfois...la petite touche d'innocence canaille au milieu des autres gars déjà trop matures.

Et je garde le meilleur pour la fin.
Deuxième jour de rentrée scolaire, où j'arbore une nouvelle coupe cheveux courts-barbe conséquente bien noire.
Bipep's rentre, dit "bonjour", puis bloque grave sur mon visage, trente secondes s'écoulent très lentement puis il sort :
"Eh m'sieu du CDI, c'est trop bizarre, en fait, vous êtes le père du m'sieu du CDI, hein ?"

Ouais, hein.

mercredi 21 avril 2010

mercredi 24 mars 2010

Vis ma vie de doc-hebdormadaire part. 4

Une longue hibernation ne signifie pas encore un abandon d'activité. Je m'y remets donc, pour j'espère votre plus grand plaisir.

Cette journée-type d'un pauvre hère accessoirement documentaliste est extrêmement chargée en situations ubuesques de la part de la fameuse 6ème Flaubert, devenue rapidement le mètre-étalon de la pédagogie par l'absurde et le doute.

Revoilà donc mes lascars, accompagnés cette fois-ci de leur professeur d'histoire-géographie. Avec une tâche qui ma paraît méchamment ardue : appréhender les coordonnées terrestres (latitude et longitude) sur des atlas et cartes géographiques.

Un élève par table, un atlas par élève, une fiche par atlas.

Les ennuis commencent vite : "cé koi ces trucs ?", "m'sieu je comprends rien aux dessins", "adda, le pays qu'y a dessiné sur le livre, on dirait ta reum"...
Mais, n'écoutant que mon courage et ma foi en la pédagogie par l'erreur, je tâtonne, j'empirise grave et au bout de trente longues mais bienfaitrices minutes, les élèves - ô miracle ! - semblent avoir compris comment calculer les coordonnées de lieux et arrivent à peu près à les retrouver, les replacer, les évaluer.
On passe direct à la section "jeux" : on trouve des capitales suivant les calculs proposés. Ca se passe à peu près correctement, les élèves les trouvent relativement vite (la carotte et l'appât d'un gain fictif les motivent, c'est un fait qu'aucun prof ne peut nier) jusqu'à ce que Ottawan lève le doigt : "M'sieu, j'ai pas trouvé Pékin.
- ben, recalcule, lis bien les coordonnées.
- ben je truque bien le calcul, mais y'a pas marqué Pékin, y'a marqué "Béjingue".
- Ah...oui, ok, je comprends. En fait ton atlas a écrit "Pékin" en langue chinoise.
- MMMMMaaaaaaa...il est chinois, le livre ?

Et, bon gré mal gré, je me lance dans une explication avec moults exemples sur l'écriture chinoise en signes, leur traduction alphabétique du mandarin, et les variations adaptées pour la langue française.
Soit Pékin -> beijing -> le signe avec plein de traits, de lignes, et de carrés (que je trace sur une feuille).

L'assistance est sous le choc. "Eh mais monsieur, vous savez écrire le chinois ?
- Euhhh, un petit peu, je suis déjà allé en Chine pour voyager, j'ai appris quelques signes, oui... mais bon, je sais pas quand même parfaitement...
- Et vous savez écrire les prénoms comme les chinois qui sont au marché ?

Ouh là. Pied qui effleure les sables mouvants. Que dois-je dire ou faire ? En même temps, je réfléchis à l'idée qu'on va vers du grand n'importe quoi qui pourrait alimenter à nouveau ce bloc déjà bien chargé bien que peu alimenté ces temps-ci. Donc, le cynisme aidant, je me lance avec sourire :

- ben pas vraiment, mais ceci dit ce n'est pas très dur. Les signes expriment des sens, des images qui se complètent, comme vos prénoms, en arabe, ça signifie des choses, il suffit ensuite de les dessiner et les coller ensemble.
- OUUUUAHHHH.....TROP FOY ! hurle la moitié de la classe, l'autre étant dans une pièce accolée d'où sort leur prof : "tout se passe bien ?"
- Super...ils viennent de découvrir que Pékin se disait Beijing !
- Ah d'accord..., répond leur prof en fermant la porte, légèrement dubitative.

Retour aux affaires, je vais faire payer mes oeuvres, 2 € ton prénom en chinetoque sur un poster feuille double format A4.

- Eh m'sieu, vous pouvez écrire mon prénom Adda ?
- Oui, Adda. ça veut dire quoi Adda en arabe ?
- j'en sais rien.
- Bon, on va dire que ça veut dire "sage du désert"...

Je ris intérieurement. Je suis le seul.
Et vas-y que je trace trois ondulations qui ressemblent à des dunes resserrées auquel je rajoute trois points et un carré. "là, tu vois ce sont les lignes d'un désert avec les formes géométriques de la sagesse tels que Bouddha les a imaginées". Ils m'écoutent à peine débiter des conneries au kilomètre, ils sont scotchés sur les papiers où je griffonne leurs faux prénoms. Manquent plus que les feuilles de riz, l'encre de chine et le thé au jasmin.

"Franchement, m'sieu, c'est trop beau, franchement, c'est trop beau...vous êtes un nasdé, m'sieu. Vous devriez venir au marché le dimanche pour faire ça, vous gagnerez bien votre vie, whala.
-Mais j'y ai songé, Dalida, j'y ai songé...mais j'étais pas assez chinois, tu comprends...
- Sérieux ? Pourquoi ils vous ont pas gardé ?
- Ben...devine...." conclus-je en lui montrant ma tête...

Houpa-Lumpa sort alors des nimbes de la passivité aigüe.
"Et moi ? Vous pouvez ?
- Oui, je pense que c'est faisable.
- En plus, je sais ce que ça veut dire, mon nom. "Femme qui vient du Ciel".
- Alors, là, c'est facile.

Et je lui fais une femme tel qu'un môme de 4 ans dessinerait sa mère : deux traits pour les bras, une robe triangulaire, et deux traits verticaux pour des jambes anorexiques. Auquel je place un long trait au-dessus pour les cieux, et des semblants de flèches descendantes sur le schéma féminin. Et là, je me dis qu'ils vont comprendre que je me fous gentiment de leur poire. Comme d'habitude, je me plante. Ils sont on ne peut plus sérieux.

"C'est un truc de malade comme c'est bien fait, franchement, m'sieu, trop beau..."
Et là, je continue sur ma lancée, le spectacle est trop délicieux.
"Et quand tu dis ton prénom en chinois, ça donne "Tsin Wang Fou Glin" que je susurre - à prononcer avec ce petit accent pas du tout cliché qu'utilisait Michel Leeb dans ses sketches.

Et c'est l'émeute. "Ouah, m'sieu, vous parlez chinois ? Vazy, vazy, disez mon prénom pour voir..."
- Tchou fan Ping.
- MMMMMAAAAAAAA....tchou fan Ping, sérieux ? c'est encore plus beau que Dalida.
- oui, si tu veux...

Mais je le vois bien, ce petit regard inquisiteur de Houpa-Lumpa, je le vois bien. Je crois surtout qu'elle a capté la supercherie. Elle me regarde droit dans les yeux, elle me fixe longtemps, très longtemps, et je lui lance au bout du compte :
"Enfin une qui a compris...
- oui, monsieur, ça y est, je sais votre secret...
- enfin ! vas-y, Houpa-Lumpa, fais-en profiter la classe. Ecoutez tous votre camarade, s'il vous plaît".
Et, là, la meuf qui descend du sky, d'un ton solennel :
- Je sais, j'ai compris...VOUS êtes chinois !

Malentendu. Total.
-Mais, enfin, Houmpa-Lumpa...je suis Chinois ?
- Ben ouais !
Et elle tend son doigt vers ma face et s'écrie pour les autres :
- Mais regardez ses yeux !
Et la classe s'approche et me dévisage :
"ah mais ouais, carrément...le prof c'est un Chinois, en fait !"

Je le savais. Je savais que mon opération de débridage des yeux avait foiré.

Nijao, les aminches, je repars préparer du porc au caramel et je vous dis à très vite.

mercredi 30 décembre 2009

Mon top albums 2009

Est-il encore pertinent, à l'aube des années 10, de parler de musique en terme d'albums ? Si le format demeure un concept pour quelques groupes, il est toujours facile de trouver qu'un CD est un refuge pour un single génial suivi d'une dizaine de morceaux faiblards. Ceci dit, il paraît un peu bizarre de créer un top "mes meilleures playlists d'ipod" au jour d'aujourd'hui. Quant à un classement de singles, j'en ai pas écouté de vraiment exceptionnel pour donner un top 10 de qualité.
Restons donc traditionnels, voici mon palmarès de fin d'année, aussi éclectique que ce que j'ai pu écouter cette année - et d'ores et déjà, désolé pour les absents que j'ai souvent pas eu le temps de découvrir, 2010 en sera l'occasion.

-> La playlist à gauche (couleur Sahara fin de soirée) est composée des meilleurs morceaux de mes albums favoris de 2009. Savourez...

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numéro 10



Une compilation en "bas de ce haut de classement" (sic). La crème de la musique indépendante internationale se réunit pour collecter des fonds pour lutter contre le SIDA et réalisent ce double album. Et pour une fois, il n'y a pas à boire et à manger, il y a juste à déguster. Jugez plutôt : Antony & the Johnsons, Sufjan Stevens, Cat Power, Arcade Fire, Beirut, Grizzly Bear,...tout ce qui fait le pop-rock du 21ème siècle s'exécute brillamment sur cette double galette. Quand en plus c'est pour la bonne cause...

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numéro 9



Quoi ? Du tango en 2009 ? Mais oui, ma bonne dame, et du tango qui vous met la chair de poule, du tango qui vous chavire et fait couler des larmes...côté musiques du monde, y'a beaucoup de chanteuses qui arrivent de leur voix sensuelle et rauque à vous émouvoir et à vous anéantir (Lhasa, par exemple, autre bel album de cette année), mais cette fois-ci, la charmante espagnole-gitane d'origine guinéenne s'est accointée avec le pianiste cubain Chuco valdes, qu'on avait vu traîner avec les seniors du Buena Vista Social Club, et la rencontre s'avère magique, pleine d'intensité. Remarquable.

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numéro 8



Et ça recommence. Difficile de se défaire d'un tel choc vocal. Quelques années déjà qu'Antonhy et ses Johnsons m'ont fait frissoner avec l'album "I am a bird now" dont j'ai déjà parlé sur ce blog. Et si ce nouvel essai, sobre et à la limite du glauque n'est pas à sa hauteur, il reste néanmoins un magnifique écrin sur lequel le chanteur androgyne peut chanter son mal-être et son désespoir. C'est sûr qu'on est très loin du "petit bonhomme en mousse" de Patrick Sébastien, c'est sûr qu'il faut s'accrocher à l'écoute de ce douloureux mais bel album âpre et rigoureux et tendu, mais pour ceux qui iront jusqu'au bout, quelle gracieuse récompense.

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numéro 7


ATLAS SOUND - Logos

La musique actuelle n'est affaire que de séparations puis de connivences. Combien de groupes ont splitté et ont vu leurs membres soit démarrer des projets solo, soit s'unir avec d'autres membres de groupe pour un nouveau projet ? Atlas Sound est de ceux-là, unissant Bradford Cox, chanteur de Deerhunter, avec pas mal de people issu de groupes indés actuels (notamment des gars de Panda Bear et Animal Collective). Le résultat est génial, mix savant de plein de sonorités pop élégantes et élégiaques, bande-son étrange d'un automne 2009 qui hésite entre été indien et petites gelées matinales. La classe, un peu l'inverse de la pochette, nous montrant frontalement la maladie incurable (et innomable tant c'est compliqué) du chanteur...

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numéro 6

Quand des Français rêvent d'Amérique, celle des grands espaces, celles des contrées inexplorées ou des motels miteux au milieu de nulle part sur la route 66. Les USA fantasmés par des Parisiens ambitieux, qui n'hésitent pas à convoquer Neil Young ou Grandaddy dans leur pop démesurée et grandiose. Loin de singer les précédemment cités, Fairguson leur rend hommage en les soumettant à un traitement sonore assez contemporain, où instruments traditionnels américains côtoient nombre d'outils électroniques, comme une invitation au voyage terrestre comme aérien, l'Ouest américain vu du ciel, sans Arthus-Bertrand mais avec Thomas Saddoun et sa bande d'explorateurs fascinants. De la très belle ouvrage, pour un petit cocorico qui ne s'intéresse qu'à l'export !
(titres en écoute sur www.myspace.com/fairgusontheband )

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numéro 5


MAJOR LAZER - Guns don't kill people...lazers do !

En fait, le but avoué de Diplo en 2009 est enfin décelé : faire danser et transpirer la planète. C’est déjà ce producteur (très hype) qui est la cause principale du déferlement M.I.A. (Paperplanes reste Le single de l’an passé…), et, aidé d’un acolyte bien vicieux et talentueux, Switch, ils décident cet été de violenter les racines de la musique jamaïcaine sous le pseudonyme de Major Lazer : tsunami annoncé, gare à vous…

En effet, cette riche collaboration, non contente d’aligner un mixage de sons dansables venus de la Terre entière mais qui se retrouvent tous à Kingston, s’offre en plus des relations extra-conjugales avec des people plus ou moins fréquentables : Santigold qui affole les gambettes, Mr Vegas et son dancehall mainstream, Ms. Thing ou Prince Zimboo, stars des soundsystems de l’île reggae ou de Londres. On assiste donc à une partouze sonore effrénée sur lequel il est difficile de rester de marbre. Les puristes du son roots risquent d’être agacés, mais les moins réfractaires prendront l’expérience pour ce qu’elle est : un efficace tabassage en règle des genres musicaux, pour le seul plaisir des sens et des corps.

Alors certes, le disque ne brille pas par son épure, pas mal de passages restent bien putassiers (Keep It Goin’ Louder), d’autres s’éloignent franchement du son de Kingston (Anything goes), mais pour le reste, c’est dancehall brillant à tous les étages et de la grosse sudation en prévision (dub imparable sur Can’t stop now, groove secouant de Mary Jane, le single génial Hold the Line). Guns don’t kill people, Lazers do ne passera certainement pas l’hiver, mais est-ce ce qu’on lui demande ? Non, on lui exige de nous faire bouger les fesses, lever les bras en l’air, relever les jupes et déboutonner les pantalons, et le défi est largement relevé. Accouplé au disque-bombe des Buraka Som Sistema, Major Lazer prédit bien plus sûrement qu’Evelyne Dhéliat : l’été 2009 a été très très chaud !

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numéro 4

Même s'il ne s'appelle plus Smog, Callahan a gardé sa voix caverneuse, ses mélodies mélancoliques, et ses compositions classieuses. Nouvel opus, même formule - en mieux : "sometimes I wish we were an eagle" est une splendeur, encore une, concocté par le grand bill. A l'image de "Jim Cain" en écoute sur la playlist ci-contre, ce sont neuf morceaux beaux et longs qui composent cet émouvant album, où Callahan n'a jamais aussi bien chanté, convoquant l'esprit des plus grands anti- et alter-folkeux. Du grand art, plebiscité un peu partout, à juste titre.

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numéro 3


Bashung ayant tiré la révérence, il ne reste plus grand monde dans la chanson française de qualité, voire exigeante. Il ne reste même plus que lui : Dominique Ané. Et au lieu de s'enliser dans le songwriting intime et étincelant de "l'horizon" paru en 2006, il préfère les risques muiscaux, s'autorisant ici à composer les meilleurs morceaux de son oeuvre et le passer à la moulinette synthé années 80 qui avaient fait son particularisme pour ses premiers albums. Une sorte de boucle bouclée pour la voix la plus singulière du paysage musical hexagonal, avec en plus cette volonté ambitieuse de défricher plus loin encore les sons pop du 21ème siècle, oser la modernité tout en conservant une écriture traditionnelle mais pas conventionnelle non plus. De la variété de qualité supérieure, du rock déformé, du post-rock à la française, de la pop triturée : Dominique A va encore plus loin, toujours plus fort, et n'en finit plus de nous épater. Bravissimo.

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numéro 2


Califone a sorti 9 albums en 10 ans. Vous ne les connaissez pas ? Pour ma part, je viens juste de les découvrir VRAIMENT. Jamais apporté une oreille très attentive à leur folk parfois abrasif, parfois chiant. Mais là, comment dire ? La révélation s'est faite, simple et évidente. Califone vient probablement de réaliser leur chef-d'oeuvre, du moins le disque qui pourrait enfin les consacrer à leur juste valeur. Tendu et original, "Tous mes amis sont des chanteurs d'enterrement" n'invite évidemment pas à se secouer les fesses sur un dancefloor, mais plutôt à se poser devant l'infini et à méditer sur son triste sort. Autre originalité : ce disque est le temple de la corde. Qu'elle soit pincée sur des violons exsangues, grattée sur des guitares tantôt acoustiques tantôt furieusement électriques, les instruments sont l'acteur principal sur lequel se greffe parfois des voix plaintives et qui donnent le mince fil rouge des intrigues mélodiques. Point d'orgue de ce laboratoire musical exemplaire, "Funeral singers", single évident, démontre le talent de ces Américains qui deviendront, je l'ordonne, enfin célèbres.

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numéro 1



Somptueux.
Pas la peine de s’éterniser sur un disque qui semble, lui, promis à l’éternité : le dernier Richard Hawley est peut-être LE disque que j’attendais impatiemment depuis cette année. Un disque à la fois simple et grandiose, touchant et audacieux, d’une classe folle mais aussi beau à pleurer. Truelove’s gutter condense tout cela à merveille, et place enfin Hawley parmi les musiciens et chanteurs anglais incontournables.

Dès le premier morceau, sa voix de crooner dandy mais fatigué, semble sortir de limbes sonores, des nappes de synthés douces et mélancoliques. Il nous caresse dès le début, affole nos sens qui se perdent dans l’émotion franche de Open up your door, chanson presque conventionnelle et déjà entendue si ne s’y mêlaient pas une orchestration aux petits oignons, avec montée en puissance déchirante et parfaite. Déjà, Mister Hawley côtoie Elvis, Scott Walker et Sinatra. Mais ce sont aussi Roy Orbison ou même Willie Nelson et Tim Hardin qui semblent des présences fantômes sur le troisième et splendide Ashes on the fire.

Je peux continuer tout l’album ainsi tant tout est majestueux, sans fausse note, parfait, de la première à la dernière note (le final Don’t you cry de plus de dix minutes, tout aussi grandiose que les autres titres). L’ex-guitariste de Pulp a peut-être enfin atteint le climax de son oeuvre, dans ce « caniveau du véritable amour », à la fois sombre et délicat, à l’instar de la pochette, où son visage dans l’obscurité offre une légère lueur sur la crête de son profil. Dans les huit titres qui composent ce chef-d’oeuvre, sous la noirceur des propos et la lenteur magnifique des morceaux qui s’offrent patiemment, on trouve toujours la trouée d’échappement, le souffle d’air chaud, le hublot coloré qui évite à l’ensemble de tomber dans l’ennui ou le morbide. La classe, tout simplement.

« Si la musique ne te donne pas l’envie de baiser, de boire, de danser, de pleurer, c’est de la merde.«

Holy Richard. Il donnerait presque envie de croire en Dieu. Et pour cause : sa musique côtoie enfin et pour longtemps les cieux.

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et vous, vos albums de l'année ???


mercredi 18 novembre 2009

Vis ma vie de doc-hebdromadaire ! part.3

11h35.
Je me remets à peine de l'épisode "père Noël de chez Leclerc" désormais culte dans mon panthéon personnel que la moitié de la classe des 3ème Ebahi débarque au C.D.I., leur prof de SVT étant absente. L'autre moitié, sage et réfléchie, a préféré quitter le collège un peu plus tôt.
Etrangement calmes, les 3èmes s'installent sur les tables de travail, sortent feuilles et stylos, et donnent l'air de se concentrer.
Ils travaillent.
Non...
Je n'en crois pas mes yeux.
Je m'approche.
Ils tracent des colonnes sur une feuille format paysage.
Sud-Amen me toise soudain et lance, triomphant :
"Non mais c'est pask'on va faire un bakaloréa !
- Wesh, renchérit Housseouate.

Wesh, effectivement.
Je comprends mieux, légère déception quand même, moi qui pensais qu'ils se mettraient à bosser. Mais non, "essayez déjà d'avoir votre brevet avant de vous coller au bac" pense-je cyniquement, comme le vilain méchant cynique prof pas gentil que je suis. Mais je ne dis rien.
"Soit. Je veux pas de bruit par contre, y'en a qui travaillent.
Regards effarés autour d'eux.
- Ah ouais, sérieux ?
- Sérieux."

Je retourne au bureau et cinq minutes se sont même pas écoulées que débute le grand cirque du n'importe quoi.

"Vas-y, réfléchis dans ta tête pour dire une lettre, vas-y"
Adrisso hoche la tête en comptant ses lettres, genre cinq hochements exagérés signifient que j'en suis à la lettre E...
- STOP ! gueule Housseouate.
- Chut ! ose-je.
- Non mais c'est important que je le dise fort, m'sieu, sinon il réfléchit trop quand il compte et il m'entend pas !"
- L, annonce fièrement Adrisso qui menace déjà d'une surchauffe du cerveau.
- TTOOOOPPPPP ! gueule Housseouaute, probablement parce que les candidats réfléchissent déjà trop pour l'entendre démarrer la compète....
Et voilà les 4 lascars, silencieux comme jamais, en train de remplir les grilles. Les thèmes n'ont pas changé depuis le temps où je jouais moi-même : prénoms, ville ou pays, film, fruit/légume, personnage historique (ouch, c'est précis), métier,...à noter que la colonne "art et littérature" a rapidement été supprimée car jamais remplie...

Autant faire du raccourci sinon y'en a pour 25 pages, mais ce fut une heure de fou rire mêlé de consternation, une heure de réponses toutes plus hallucinantes les unes que les autres.
J'ai découvert des fruits et légumes que je ne connaissais pas : le rublingon, la paffanime, le frésentin, le koupango, probablement des fruits très exotiques ou alors des croisements de légumes génétiquement modifiés...
J'ai découvert également des films dont je n'avais jamais entendu parler : Rudolf ("c'est sur la vie de Rudolf Hitler, m'sieu !"), La Lampe qui brûle, Le blédard en scooter, La cité du justicier, Nique la France, Mary Potter,...
Mais, pour votre plus grand plaisir, je vous livre le top 3 de ce jeu extrêmement divertissant.

numéro 3 :
Le quatuor recherche des métiers en "L".
Adrisso est en mode high spirit level :
- vazy j'ai trouvé "Lumioniste".
Le groupe ne bronche pas.
Tel un maître cappello offusqué, je ne puis laisser passer ça et j'interviens avec un sourire forcé :
- euh...Adrisso...ça n'existe pas "Lumioniste"...hi hi....
Le groupe se retourne, l'air sévère. Silence.
- Ben si ça existe, lance Sud-Amen.
- Euh non... (permettez-moi d'insister), non, je t'assure.
Et Adrisso, renfrogné, confirme, regard genre "mais, t'es con ou quoi ?" :
- Ben Si. Celui qui met les ampoules. pfff...."

numéro 2 :
La dream Team des bacheliers idiots sèche un peu sur les personnages historiques en "R". Sauf Sud-Amen.
" j'ai mis Rambo.
- Ah ouuuaaaaiiiiisssssss merdeeeeeeeeee, soupirent les trois autres.
Le Zorro à la noix qui vous sert de narrateur ose encore une fois troubler l'atmosphère intellectuelle qui régne dans ce jeu.
- alors là tu vois, Sud-Amen, c'est faux : Rambo est un personnage de film, c'est Stallone qui le joue. Tu vois, c'est comme si tu mettais Rocky, c'est faux...
- pffff non mais vous dites n'imp', m'sieu, franchement, vous fâchez pas, mais vous dites n'imp'. Rocky, c'est pas un personnage historique, alors que Rambo oui.
- Mais non enfin, c'est toi qui dit n'importe quoi, Rambo, Rocky, c'est pareil, ce sont pas des pers....
- Est-ce que Rocky il a fait la guerre ???? NON ! Et Rambo, OUI !!! Donc j'ai bon !
Là, je suis obligé de remettre mon épée dans son fourreau, de jeter mon masque à la poubelle, et de me retirer à petits pas de loup...s'incliner face à l'adversité, savoir rendre les armes, comprendre que l'on ne pourra rien y changer. Ecrasante défaite.

Et enfin, ta ta ta ta ta ta (sur l'air de star Wars ou Indiana Jones ou ce que vous voulez qui fait spectaculaire), le Numbeur Ouane....

Dzéjébel, le quatrième larron qu'on avait pas encore trop entendu. Métier en "P" :
- pute.
Les trois Zorros se révoltent :
-Eh mais vazy c'est pas un métier, ça, vazy t'as faux c'est pas un métier, maaaaa...
Djézébel, serein et détendu, se tourne alors vers moi qui, pour une fois, ne m'était pas manifesté :
- M'sieu, pute, c'est un métier, non ?
Aïe. Ze tuile. Que répondre ? Dans ce cas là, je me dis toujours, autant la jouer honnête.
- Bon....alors...oui, en fait, Djézébel n'a pas vraiment tort. Disons que une prostituée (c'est mieux, comme terme, moins insulant et vulgaire que ce que tu as dit, Djézébel, d'accord ?), du moment qu'elle se fait payer, on peut dire qu'elle exerce un métier...mais c'est compliqué quand même, c'est pas un VRAI métier, dans le sens noble du terme, voyez...en même temps, y'a une expression qui dit que c'est le plus vieux métier du monde, donc bon...."
Et j'ai devant moi un drôle de spectacle : Djézébel triomphant, le sourire aux lèvres, Housseouate et Adrisso yeux exorbités bouche ouverte, complètement abasourdis par ce que je viens de balancer, et surtout, surtout, Sud-Amen qui se met à barrer frénétiquement sa feuille et qui se met à râler : "et voilà, vazy c'est bon, j'en ai marre, vazy p'tain je le savais...
- Quoi, Sud-Amen ? Calme-toi ! Qu'est-ce que tu savais ?
- Ben, j'savais qu'il fallait pas que j'efface Pédophile ! J'savais que j'aurais juste aussi !"

L'apocalypse aura lieu en 2012, y'en a qui disent. ça va, il ne reste plus que deux ans pour entendre des conneries puissance mille.

12h30. La sonnerie de la pause méridienne retentit, ainsi que celle de mon bide qui crie famine.
Direction la cantoche, plutôt bonne en général, en compagnie de mes collègues. Sauf aujourd'hui, c'est ce putain de chili con carne industriel qui me donne des relents d'haricots à l'oignon toute l'aprem. Mais heureusement, c'est surtout le moment de bien décompresser, de se lâcher, de bien se marrer...c'est en effet une des rares cantines scolaires où on parle autant de tout et de rien, pas mal de cul et très peu des élèves. Eh oui, les profs ne parlent pas TOUT LE TEMPS des élèves et des copies, Bahutland en est témoin. Même si le chili con carne ne passe pas méga bien, la pause méridienne, elle, fait toujours un bien fou.

13h50.
Reprise des cours. Je pensais n'avoir pas de séquence avec professeur, mais voilà-t-il pas qu'une tête qui ne m'est pas étrangère passe par la porte d'entrée : "hey m'sieu, c'est encore nous qu'on vient !"
Adadasurmonbidé II, le retour. Il revient et il est super content.
Putain, la 6ème Flaubert. Non, pas eux encore, pitié.
Mme Petitpas passe la porte. "Salut ! T'as pas oublié que je venais avec les Flaubert"
Si. Totalement, Inconsciemment oublié.
Mais quand cette journée va-t-elle se terminer....?

(suite au prochain épisode, j'ai des moignons à la place des doigts...)

mercredi 21 octobre 2009

Vis ma vie de Doc-hebdromadaire ! part. 2

10h30.
Une heure à passer avec ma nouvelle 6ème BriseNoix 2009/2010, la 6ème Flaubert dont je vous parle depuis le début de l'année, et pour cause : c'est en permanence du n'importe quoi majuscule, une classe avec des moteurs de recherche internes défaillants, des Google-victims débarquant d'une autre planète.
J'attaque par la face Nord d'un pic extrêmement osé en ce début d'année : une revue de presse...
Les Flaubert ont sous les yeux un quotidien à feuilleter, lire par bribes et commenter. Toutes les photos sont commentées avec force "mmmahhhh....", "mate le gadji, c'est trop foy.....", "m'sieu, comment les gens ils arrivent à pas mourir dans les flammes des bombes"....je préfère pas faire de commentaires, car primo j'ai pas le temps, deuzio cela ne va pas servir à grand chose de les reprendre là-dessus, laissons tout cela mûrir, tertio c'est le meilleur moyen de laisser arriver les perles ! et une pour démarrer - les élèves ont compris qu'un "quotidien" est un journal qui paraît tous les jours. "et un journal qui paraît toutes les semaines...?" ose-je, en rajoutant, grossière erreur, "pensez au cousin du chameau..." et là, les réponses fusent "chamelien, chamélique, chaumélien..." puis "dromadure, drominien....". je cède "non, hebdomadaire". Et là une petite voix "ah ben, vous aussi, vous êtes un hebdromadaire, on vous a tous les jeudi !"
Voilà. désormais, je suis un Doc-Hebdromadaire.

10h45.
Grand fou que je suis, je leur demande de choisir le sujet qui semble a priori les intéresser dans le journal qu'ils ont entre les mains. Des deux sujets préférés (la grippe H1N1 et les plus grands pays musulmans), c'est le dernier qui l'emporte d'une courte main levée. Aïe aïe aie...

Je le sens.
Je sens que, forcément, les ennuis vont démarrer, vu le sujet chaud bouillant et les élèves à moitié demeurés (désolé d'être aussi brutal mais il faut parfois se rendre à l'évidence...). Mais je ne m'attendais pas à ce genre de délire...
Devant une carte représentant les pays qui comptent le plus de musulmans pratiquants, Ottawan lâche : "mais m'sieu, elle est faute, cette carte (oui, vous lisez bien, il a pas dit "fausse" mais "faute"). C'est dans tous les pays qu'il y a des musulmans, parce que Allah il est partout, Allah il est vivant dans tous les pays, on le voit pas mais on sait qu'il est là, Allah, il existe partout".
Re-aïe, sujet glissant, j'allais préparer mes patins pour évoluer en triple axels et double salto tel le roi de la glace quand Addadasurmonbidé me coupe net dans mon double saut périlleux :
"ouais, Allah, c'est comme le père Noël !"
Je me tourne vers Addasurmonbidé, l'air concerné, sourcils froncés. Bon, il a pas l'air de plaisanter, pour une fois. "Je comprends pas, jeune homme...quel est le rapport entre le père Noël et Allah ?
- Ben ils sont partout !
- Oui, enfin, le père Noël, on peut pas dire quand même qu'il existe comme Allah..."
Erreur, grave erreur...
"Ben si, il existe, le père Noël !
- Ben ouais, surenchérit Dalida, c'est comme la petite souris !
- Non, c'est pas pareil, intervient Géronimo, le père Noël il habite à Leclerc !"

Bienvenue dans la quatrième dimension.
Je suis vraiment fatigué, et là, je sens que je perds pied, mais qu'en même temps, je vais vivre un grand moment. Entre temps, monsieur Vichicélestin, descendu chez les CPE avec des élèves qui erraient dans le couloir, est juste derrière la porte, presque caché, et en train de se plier de rire. Moi, je ne ris pas, je n'y arrive pas, l'hallucination totale l'emporte sur la moquerie. Et surtout, surtout, je n'ose penser que ce que je crois est vrai...(en voilà une phrase qu'elle est bien moche mais que je ne sais pas comment le dire autrement !!)
Je les stoppe dans leurs discussions dignes d'un hopital psy :
"attendez...attendez là...on va faire un sondage"
Ils A-DO-RENT les sondages.
"Qui pense que le père Noël existe, à Leclerc ou ailleurs ?"
Et là l'impensable se produit : la moitié des doigts se lèvent, même pas avec hésitation.
Consterné, je suis. Tout comme Ottawan. Il fait glisser le sondage vers le débat argumenté.
"Hé mais vous dites n'importe quoi. Il existe même pas le père Noël, celui du Leclerc il est faux, c'est papa et maman qui mettent les cadeaux dans le sapin, vous êtes fous, vous".
Le pauvre se prend une avoinée de "ouuuhhhh", "tais-toi", "tu dis n'imp'"....la bronca pour Ottawan, limite seul contre tous.
Houmpa-Loumpa se fait l'avocate de la défense (si j'étais présumé coupable, même gratos, je la voudrais pas pour me défendre, la Houmpa-Loumpa) et se lève, fiérote, déclamant de sa plus haute voix de crécelle comme un orateur romain : "Moi, je sais, je l'ai VU, le père Noël, VU avec mes yeux ! Il était à Leclerc, même que son traîneau, ils le gardent dans les congélos de Leclerc et ils le dégèlent pour Noël pour qu'il distribue les cadeaux !"
Je suis entre la jouissance de vivre un grand moment de pédagogie différenciée et d'acculturation optimale, et la consternation totale qui m'abasourdit un peu et m'enlève le courage de gueuler. Je continue donc sur la lancée, je fais fi de ma déontologie professionnelle, allons-y gaiement !
"Ok, tu l'as donc VU, mais est-ce que tu lui as PARLE ?
Pas de réponse. Le débat va peut-être d'un coup être avorté.
Mais c'est sans compter sur Cassandre qui n'avait pas encore réagi. Je me dis, avec le recul, qu'elle préparait son entrée fracassante...jugez plutôt :
"Moi, m'sieu, je lui ai PARLE. Tu fais le 36 30 sur ton téléphone, et tu lui parles au père Noël. Il m'a dit que si je me portais bien, j'aurais la Nintendo DS à Noël. Juré."
Je vous jure à mon tour (car je sais que pas mal de personnes parmi vous pensent que je fabule, que j'en rajoute - ce qui est souvent vrai dans les discussions de tous les jours) que tout est vrai, et même là, je me contente du minimum. Juré.
Je suis semi-décomposé, les mômes qui s'en foutent débattent entre eux sur ce sujet brûlant, Vichicélestin qui est toujours derrière la porte, avec probablement une flaque sous ses pieds depuis le temps qu'il se bidonne, et moi qui tente de faire un bilan de ce débat surnaturel.
"Je RECAPITULE" - silence de mort, genre "on va voir si le prof il a enfin capté que le père Noël il existe".
"Donc, le père Noël habite au Leclerc de Perpignan Nord, son traîneau est stocké dans les congélateurs du magasin, son numéro de téléphone est le 3630 et il est partout comme Allah et la petite souris".
"VVVOOOIIIIILLLLLAAAAAAAA" clame la moitié de la classe, sous l'oeil désapprobateur de Ottawan, l'oeil moqueur de Youssouf, l'oeil torve de Houmpa Loumpa, et l'oeil circonspect de Dayana qui dit très doucement "moi je pense qu'il existe, mais je veux le voir avant". Presque logique, Miss Dayana.
Et j'ose l'ultime question qui tue.
"Mais je comprends pas bien : comment ce père Noël peut être à la fois à Perpignan, à Paris ou même à New York pour distribuer les cadeaux aux enfants ? Comment c'est possible ?
Et là, impassible et le regard méprisant, Dalida :
"pffff...ben le traîneau, M'sieu".
Ah ben oui ! Suis-je con.

Je pense que si j'étais en train de creuser ma tombe de suicidaire, je serais déjà au fond. Je n'en reviens toujours pas. La 6ème Flaubert, des mômes de 12-14 ans, résidents de cités violentes et bien ancrés dans un quotidien dur, croient encore au père Noël. Allez leur parler ensuite des médias en crise, des conditions difficiles des photo-reporters, ou de l'esprit critique face à la masse d'infos dont nous sommes abreuvés. Allez-y, risquez-vous...

La sonnerie retentit. Ils se ruent dans le couloir la tête farcie de grosses conneries, mais avec quand même une grande partie de rêve, ne leur enlevons pas ça...
et ça me fait penser que je suis même pas revenu sur le cas de la petite souris.
Petite souris / Allah / Papa Noël : même combat.

11h25. Besoin de faire une pause..(suite au prochain billet)

mercredi 14 octobre 2009

Vis ma Vie de Doc-hebdomadaire ! part. 1

Un jour comme les autres à Bahutland...

8h15.
Le long couloir s'éclaire peu à peu, j'ai encore pas mal de mètres à parcourir avant d'atteindre le C.D.I. mais je vois et j'entends déjà un petit bonhomme marteler sur la porte en continu. Des "toc, toc, toc" interminables, l'élève de dos ne change pas de posture, ça ferait deux heures qu'il frappe ainsi que je n'en serais pas étonné. je m'approche doucement, pas encore super réveillé, et je lui dis doucement "bonjour..."
- AAAAAHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHH !"
Un bond en arrière terrible, il se fracasse contre la porte qui a déjà reçu pas mal de coups, un peu terrorisé. Pour ma part, ça y est, je suis bien réveillé. L'élève reprend peu à peu son souffle :
- Qu'est-ce que vous faites là, m'sieu ?
Soufflé que je suis, à mon tour.
- Ben euh...comment dire...j'arrive.
- Mais d'où ?
- Ben euh (bis...)...de chez moi, de ma maison...
Il se retourne et pointe le doigt vers la porte du C.D.I.
- Mais...vous habitez pas là ?
Pincez-moi, je dors, là. Je m'imagine subitement avec un lit-baquette au C.D.I., dans la réserve, avec mes plateaux-repas froids de l'armée le soir, m'endormir en lisant un des 10000 bouquins du C.D.I. à la lumière des néons, et me réveiller le lendemain courbaturé, me faisant un petit sachet Nespresso granules en attendant l'arrivée des élèves...Chienne de vie.
- Ben euh...(ter...)...non, Biloute, je vis pas ici, j'y travaille, c'est tout. J'ai une vraie maison, loin du collège.
- Ah...
Je suis un briseur de rêves...et je me soigne. Le môme s'éloigne un peu contrarié mais surtout super surpris, et il ajoute :
- C'est nul pour vous ! Je suis sûr que votre maison elle est moins bien, y'a moins de livres et de nordinateurs !"
C'est pas faux, c'est pas faux...

*************************

9h20.
Je pars récupérer les élèves déjà en étude et qui veulent venir au CDI. Terry, un surveillant, me prévient : "y'a deux classes en étude, deux profs absents. Ils sont en surchauffe."
Bon, je m'approche doucement de la fournaise, à peine entre-je dans la salle d'étude que j'entends :
"aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaahhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhh..."
manquent plus que des bras levés et on se croirait à l'entrée des équipes de foot au Stade de France pour une finale de Ligue 1.
Passée cette Ola brouillonne, je lance un "bonjour, qui vient au CDI ?" et une forêt de mains est offerte à mon regard inquiet. Plus de 25 élèves = plus de gueulantes à pousser dans quelques minutes. Mais je me décide, bon seigneur, à alléger l'étude qui me paraît à bloc et 25 élèves me suivent comme une nuée de criquets.
15 minutes après avoir rangé les sacs dans les casiers, récupéré leurs carnets de correspondance et leur avoir rappelé le règlement du lieu (en gros, tu bosses ou tu lis et surtout tu la fermes pour le respect de tous), la nuée de nuisibles prend place, les uns devant les ordis, les autres sur les fauteuils moelleux de l'espace lecture, quelques rares studieux sur les tables de travail.
L'heure va se passer à peu près calmement, une seule perturbatrice foutue à la porte 5 minutes pour se calmer un peu (les animaux moches, ça la fait rire, elle tient plus). J'ai à peu près de la chance, une heure quasi normale, je peux avancer sur les compte-rendus de projets demandés par ma hiérarchie.

10h15. La récré.
Pendant que des mômes courent dans les couloirs, échappant aux surveillants comme aux remarques de profs, ces derniers se réunissent pour un quart d'heure autour de la machine à café, de la photocopieuse, de la poubelle à clopes dans l'espace fumeur à l'extérieur. ça gueule, ça rigole, ça se consterne, ça hallucine, ça s'énerve, ça se fatigue déjà même si la journée a à peine commencée, de vrais ados. Je bouffe deux pépitos en sirotant un café noir de chez noir, on déconne avec trois collègues, la soupape de sécurité dure 10 minutes, mais elles sont précieuses.

10h30.
Le père Noël va bientôt débarquer -> suite au prochain billet...

mardi 13 octobre 2009

The Perle du jour...

Une gamine me lit mon horoscope.
"Aujourd'hui, vous aurez quelques problèmes domestiques..."
Elle se retourne vers moi :
"M'sieu, vous avez des problèmes avec vot' chien ??"


Autre perle, musicale cette fois :

mercredi 30 septembre 2009

Pov' mômes...

J'anime au sein du collège un club journal, manière de sensibiliser les élèves au monde des médias, de leur apporter un minimum de sens critique, et leur faire travailler un peu l'écriture et la lecture. Par contre, on est pas en cours, ils ont donc tout loisir pour choisir les sujets sur lesquels ils veulent écrire et débattre. A part deux élèves, qui adorent émettre leur avis sur la crise financière, Barack Obama, les travers de notre gouvernement, la grippe et les risques sanitaires, c'est plutôt le rase-mottes général quant aux thèmes abordés : la catch, les animaux dangereux, les océans, le foot, la mode, les jeux vidéos, les "bébés-siamois-qui-zont-été-séparés-par-le-docteur-mais-que-ça-a-pas-marché-que-un-il-est-mort-maaammaaaaa-ça-fait-de-la-peine", voilà en vrac les passionnants reportages que mes journaleux veulent en Une de leur canard préféré.

J'ai mon petit harem de fidèles, quatre années qu'ils tiennent la barre de ce club réservé à ceux qui mangent à la cantine (80 élèves seulement) ET à ceux qui aiment animer et écrire dans un journal. Bref, y'a pas foule, mais c'est tant mieux, je me vois mal avec une équipe de rédaction de plus de dix membres. Cependant, chaque rentrée approte son lot de curieux 6èmes qui s'inscrivent au club "pour essayer". Et cette année, je sens que cela ne va pas être triste. D'abord, il y a César, totalement azimuté, qui balance des phrases sans logique, pas toujours compréhensibles, et qui te parle en ayant toujours les yeux en l'air ou sur les côtés : pas net, le gars. Et avec une idée d'article différente toutes les 20 secondes. Plus rapide qu'une dépêche AFP, le César.

Mais il y a mieux (ou pire), y'a Tonio. Tonio s'excuse mille fois d'avoir cinq minutes de retard à ton rendez-vous de début de club, parce que la maman de Tonio a fait un dessert un peu trop en retard et qu'il a pas eu le temps de le manger à l'heure, c'est pour ça qu'il est en retard, Tonio t'explique (à cinq centimètres de toi) qu'il veut venir au club journal parce que ça l'intéresse de faire des choses de journal dans le collège paskil vient d'arriver et qu'il est nouveau et que il veut savoir comment c'est bien ou pas de faire du journal avec des élèves et que c'est mieux aussi paskil veut pas rester trop chez lui à midi pour pas embêter sa maman qui fait la vaisselle et qui est fatiguée, Tonio sait pas comment ouvrir l'ordinateur paskil en a pas chez lui et que il paraît kil faut un code mais qu'on lui a pas donné paskil est nouveau et que il faut attendre que le monsieur des ordinateurs il vienne pour donner les codes à tout le monde et qu'en attendant il sait pas comment faire, Tonio dit toujours s'il vous plait paske sa maman lui a dit qu'il faut parler comme cela aux professeurs pourqu'ils nous écoutent, et Tonio demande s'il peut prendre une chaise pour s'installer devant l'ordinateur mais que monsieur il faut quand même que vous veniez pour me mettre un code que j'ai pas paske le monsieur de l'informatique, il a dit que....

Tonio est gentil. Je ne veux pas dire de mal, mais effectivement, il est gentil.

Petit et mince, tâches de rousseur, yeux bleus très clairs et très vides, coupe improbable (hérissée devant, mullet derrière), Tonio ressemble à un footballeur allemand des années 80 qui aurait oublié de s'épaissir. Tonio m'a déjà épuisé, il a obtenu un code informatique (le mien en attendant), scrute l'écran de l'ordi bloqué sur la page d'accueil de Google, et plonge dans les méandres de son cerveau pour trouver une idée originale à traiter pour le journal, et voilà-t-il pas qu'il me porte l'estocade finale, moi qui suis déjà sur les rotules :

"Monsieur, je peux faire un article sur ma mère qui vient d'avoir un nouveau travail chez Leclerc ?"

Bon, je vais oublier ma grande ambition de les faire réfléchir sur la crise que traverse les médias et les journalistes.

"Euh....moui, pourquoi pas, Tonio ? Mais attention, et là, je m'adresse à TOUS, n'oubliez pas que vous écrivez dans un journal, qui va être lu par TOUS, donc il faut penser que ce que vous écrivez, les autres vont le lire, cela doit les intéresser, pensez des sujets qui peuvent intéresser le maximum de lecteurs, d'accord ?
-D'accord, monsieur, répond Tonio, je vais écrire sur le nouveau travail de ma mère, alors".

Allez c'est le début, on va y aller mollo, je m'approche de Tonio :
- Comment tu vas commencer ton article ? Tu vas peut-être parler de ta maman, de ce qu'elle faisait avant ? Elle avait déjà un travail ? Ou elle s'occupait de ses enfants, de tes frères et soeurs ?

Et là, le grand déversoir des âmes s'active, sans respiration.
- Non mais en fait, ma mère elle a changé de travail paske elle avait trop mal au dos, ils ont pas voulu la garder dans l'usine où elle mettait des salades dans du plastique et qu'après, des camions ils amenaient les salades dans des magasins et des marchés pour que les gens ils achètent les salades de plastique que ma mère elle a emballé. Et après, elle a rien fait pendant plein de jours et elle pleurait un peu. Et puis Leclerc l'a appellé et alors là, demain elle va commencer son travail de chez Leclerc elle est contente paskelle est augmentée dans son travail maintenant elle fait caissière et elle va passer les légumes et les paquets et après les gens lui donneront la carte de banque pour payer elle pourra leur parler aux gens, elle est contente.
Tonio rayonne, moi moins, j'ai du mal avec ces déballages, mon petit coeur saigne.
- c'est vraiment bien pour ta maman, je suis très content pour elle.
- Alors, je peux écrire sur son nouveau travail ?
- oui, tu peux.

Sans commentaires.

***********************************************************************
Le mardi suivant, nouvelle séance du club journal, César in the sky with diamonds est physiquement présent, Tonio aussi, mais beaucoup moins présent.

"Alors, Tonio, on va finir l'article sur ta mère ?
- Non, je vais changer l'article sur ma mère, je vais faire sur le foot qu'on fait au collège à midi.
- Mais pourquoi ? Il est bien cet article !
- Oui, mais c'est paske ma mère elle a plus son travail à Leclerc, elle a trop mal au dos et elle peut pas faire la caissière assez longtemps, alors Leclerc il a dit que l'essayage c'était pas bon et que Leclerc allait pas la garder au magasin pour la caisse. Alors je peux plus faire mon article."

Il me regarde de ses grands yeux tristes, en me souriant. L'idée de l'article sur le foot le botte.

Il suffit parfois d'un Tonio épuisant pour te donner envie de faire la révolution. Ces élèves, qu'ils soient gentils ou difficiles, vous tuent lentement. Avec chacun leurs méthodes.

vendredi 25 septembre 2009

Fa-ti-gué...

donc rien de tel que deux petits morceaux savoureux pour se requinquer. Gageons qu'à leur écoute, vous aurez envie de siffloter, respirer l'air à pleins poumons, danser comme des faux rappeurs en agitant deux doigts devant le nez type street credibility, chanter, sauter partout comme des idiots, mover, faire le sexe, lever les bras en l'air comme si vous êtiez la roi (reine) du monde, hurler, se déhancher, dodeliner de la tête, s'envoler, faire le con, courir à donf, plonger dans l'eau froide, pogoter en faisant semblant de connaître les paroles que vous captez même pas, faire des bisous à tout le monde, aimer, vivre.
Et, last but not least, ces deux artistes sont français !
Bon week-end !



samedi 19 septembre 2009

Du single génial au morceau niais, y'a qu'un pas...

Deux morceaux qui trottent dans la tête, deux singles qui caracolent dans le top des ventes et des diffusions radios, et pourtant...d'un côté, la très pulpeuse Scarlett Johansson et sa voix chaude type Amy Winehouse aide un jeune guitariste doué, Peter Yorn, à se faire un nom. C'est rockabilly, stylé, classe et entêtant, le single dans toute sa splendeur.
De l'autre côté, une jeune blondinette annône d'une voix plutôt crispante (lire "nasillarde") des mélodies souffreuteuses empruntées à la Carla Bruni (sans voix suave), avec paroles insignifiantes et piano easy-listening de rigueur. mais très entêtant aussi - dans le mauvais sens du terme.
Ma question : peut-on aimer ces deux succès à la fois ??



mercredi 16 septembre 2009

Des tripes, du sang, des larmes...et des morts qui dansent.

Blog de mon collège saison 2.
Comptez pas sur moi pour vous faire voir des zolies photos de vacances, vous narrer mes baignades, mes journées bricolage-jardinage, mes soirées poteaux ou mes embouteillages sur les autoroutes du soleil, on est pas sur fessebouque ici.
Donc, même pas d'excuse valable pour le trou estival et béant sur ce blog, on reprend à zéro, c'est la rentrée réelle comme virtuelle. Et comme elle a démarré sur les chapeaux de roue, autant ne pas se priver.
Les rentrées se suivent et se ressemblent quelque peu. Le premier jour, c'est les retrouvailles, les "comment ça va ? putain comment t'as pas bronzé t'es resté deux mois en Bretagne ou bien ? eh mais toi t'as l'air déjà crevé ! non mais j'étais hier encore en Andalousie tu comprends plus tard je reviens mieux je me porte. tu m'étonnes...". Ce sont aussi les nouveaux (peu nombreux cette année) que l'on scrute en se demandant s'ils vont tenir le coup face aux mômes, certains qui pleurent déjà d'avoir été mutés ici, d'autres qui ont l'air motivés, prêts à ne pas céder face au cyclone ado qui débarque dès le lendemain. Ce sont aussi les anciens, visages qui rassurent, d'autres qu'on avait oublié un temps et qu'on n'a pas envie de revoir là maintenant aussi tôt, d'autres qui nous manquaient depuis un bon moment, d'autres avec qui on aime partager neuf mois de galère et de rires. Mais ça, c'est la première journée, cool, décontractée, chemise-short-tongs, emploi du temps, cour et salles vides, le calme avant la tempête...
Jour 2, 3, 4 et suivants...
Ils sont tous là. Bigre, on les avait presque oubliés, d'ailleurs certains noms ne me reviennent pas. Les 6ème ont l'air gratinés cette année, déjà une prof de maths qui vient de les avoir quatre heures et un élève qui sort de sa classe à midi et se retourne "vous êtes qui, déjà, m'dame ?", et d'autres qui ont l'air carrément dans la quatrième dimension mais à leur décharge, le premier jour dans un collège, c'est difficile pour tout le monde. L'originalité de cette rentrée, disons ce qui marque le plus, c'est la gitanerie ambiante. Non pas qu'il y ait davantage d'élèves gitans cette année, mais disons qu'on les entend beaucoup. Trop. Et qu'ils se font sacrément remarquer, à grands coups de beuglantes mains frapées claquettes au sol. Un vrai festival de flamenco dans les couloirs du collège et aux portes des classes, allant même jusqu'aux recoins du C.D.I. où des complaintes s'élèvent, narrant le malheur d'être obligé de se taper un livre sur Madame Bovary alors qu'on préfèrerait être dehors. Cette rentrée, plus que les autres rentrées, le collège ressemble à une immense salle de casting de la "Star Ac'" : ça chante, ça danse, ça rejoue des scènes des pires vaudevilles, ça tragédie à tout-va, je vous raconte même pas le nombre de Molières et de Victoires de la Zique qu'on aurait pu décerner en même pas une semaine. Grosse fatigue.
Mais passons du plan général au détail qui tue.
La 6ème Flaubert, donc. La classe où on connaît pas le nom de la prof alors qu'on a passé 4 heures avec elle. Elle débarque au C.D.I. avec son prof de français monsieur Vichicélestin qui, pourtant habitué aux classes pénibles, se dit que là, on a atteint des sommets. Séance de découverte du lieu de culture et d'information, et recherche autour de l'écrivain dont la classe porte le nom, ainsi que sur son oeuvre. Pendant que les élèves essaient d'écrire le travail du jour, je dépose à côté de chacun d'eux un dictionnaire. Mais, en m'approchant de Cassandre et lui posant un peu trop fort l'épais ouvrage sur sa table, celle-ci bondit d'effroi en reculant et en hurlant : "RRRRHHHHAAAAAA mais il est fou lui ! Tu veux que moi je lise çAAAAAAAAA"...
Tiens, ça faisait longtemps, le son mélodieux mais très guttural des gitanes qui se pètent la gorge (en te pétant au passage un tympan), juste pour te signifier qu'elles ont un avis à donner.
"Mais Cassandre, c'est un dictionnaire ! Tu ne vas pas tout lire, il faut juste chercher des renseignements sur Flaubert..."
- MMMAAAAAA je sais pas moi je suis pas une payou !"
Fait évident, même si je vois pas bien le rapport. Après quelques minutes un peu lourdasses à rappeller le principe d'un dictionnaire (certains avaient l'air d'en voir un pour la première fois de leur existence), tout le monde se met à feuilleter les pages à la recherche du mot propre demandé. Ambiance intimiste, quasi religieuse, personne ne bronche, ne reste que le son des feuilles tournées, on se repose. Pas pour longtemps...
Djizeuss (comme ça se prononce) se met à hurler "las tripas, las tripas, LAS TRIPAS !!!!" en se levant comme s'il avait vu le diable dans le dico.
PAUSE.
Pourquoi Djizeuss ? parce que. Sachez, tas d'incultes sur la question manouche, que la communauté ne s'embarrasse pas de fioritures et qu'elle est souvent d'une imparable logique. Par exemple Mike, son prénom sur le papier s'écrivait "Maïke" ; et quand je lui expliquais que j'avais jamais vu ce prénom écrit ainsi, en lui montrant l'autre orthographe, celui-ci m'avait répondu : "rhha mais non, là tu le dis Mique, ça va pas". Vraiment imparable, la logique.
Djizeuss, donc, "la chose" de la 6ème Flaubert. Un truc incontrôlable, pas vraiment méchant, juste imprévisible et super pénible.
FIN DE PAUSE
Je fonce sur Djizeuss, toujours en train de hurler "LAS TRIPAS, LAS TRIPAS" debout, le doigt pointé sur une page de dictionnaire. Je regarde cette page. Une planche en couleurs, anatomie du corps humain, muscles, viscères, nerfs. Et les intestins. Les tripes, quoi. Couleur sang et blanc sale. Las tripas.
Je regarde Djizeuss, comme possédé, genre L'exorciste avec de la gomina dans ses cheveux moitié décolorés. Je regarde ensuite Monsieur Vichicélestin, complètement blasé, avec sur son visage une expression inconnue, à mi-chemin entre "non mais je rêve" et "suicidez-moi, là". Nos regards se croisent, et, là, ce que l'on redoute souvent : le fou rire. On se retourne tous les deux, dos à dos, visages un peu dissimulés, tentant de renfermer nos débuts d'éclats de rire, Dieu que c'est rude, avec l'autre qui continue à psalmodier ses tripas devant une classe à la fois ébahie et souriante, un spectacle gratos, ils en redemandent. Tout cela dure à peu près deux minutes. Une éternité quand tu es en séquence avec élèves.
Et tout à coup, il referme le livre, énervé. Il se tait un peu, puis recommence à maugréer des phrases sans sens, mais estimant qu'il a gagné son coup, il a fait rire l'assistance, le mec est pas peu fier de son interprétation. C'est le moment de régair, Vichicélestin semble désarmé, j'ordonne donc à Djizeuss de se calmer ailleurs, en l'occurence hors du C.D.I., à la vie scolaire. Djizeuss refuse pas, il s'avance même vers la porte que j'ai ouverte, en effectuant un pas de danse à la moonwalk, probablement un dernier hommage au roi de la Pop. Celui-ci doit se retourner dans sa tombe, l'imitation de Djizeuss est même pas digne d'un roulé à la Aldo Maccione. Un ridicule assumé, trop fort le Djizeuss, il attend même les encouragements de sa classe qui ne viendront jamais, bonjour la vieille honte.
Arrivés tous deux à la vie scolaire, je lance calmement : "je vous ramène ce jeune homme qui hurle comme un possédé parce qu'il y a des intestins sur une page de dico, et qui se prend pour Michael Jackson". Les surveillants me regardent, sourire en coin, ils me connaissent, et, visiblement, ils connaissent bien Djizeuss aussi. Ce dernier a pas l'air bien content de ma description des faits, il se retourne, regard mauvais, bovin mais mauvais : "eh mais quoi tu dis, toi ? moi, je suis Mikaeulle Jaquesaune, moi, regarde, moi, je sais le faire comme lui" et c'est reparti pour un Moonwalk de chez Lidl. Et je pars en balançant :
"Non, jeune homme, Michael jackson, c'est Michael jackson, et Djizeuss, c'est Djizeuss !"
Cloué, le King of ze Loose.
C'est vrai quoi, on peut pas être deux rois à la fois...

vendredi 3 juillet 2009

lundi 11 mai 2009

Je sommes Immortels...

Saviez-vous que la plus belle chanson du moment est française ? Allez, cadeau...

dimanche 12 avril 2009

RE-POS

Les trois dernières semaines ont été plus qu'agitées, avec des morceaux de bravoure tels que je pourrai finir par écrire un roman. Avant de tenter d'en résumer le principal ou de m'atteler à un chantier écrit d'ores et déjà impossible, je me repose en écoutant les plus belles voix du monde. Et rien que pour vous, un léger échantillon. A bientôt les aminches !





samedi 21 mars 2009

J'ai fait l'amour, j'ai fait le mort

Et si on passait une petite heure avec le voyageur solitaire, l'apiculteur des amours de vertige...? So long, Alain bashung...et hommage...

" A perte de vue des lacs gelés
qu'un jour j'ai juré d'enjamber
à perte de vue, des défilés,
Des filles à lever, des défis à relever,
Eviter les péages, jamais souffrir,
juste faire hennir les chevaux du plaisir...

A perte de vue du déjà vu du déjà vécu,
Volutes partent en fumée, vos luttes font des nuées,
des nuées de scrupules,
Issu de toi, issu de moi,
on s'est hissés sur un piédestal
et du haut de nous deux on a vu
et du haut de nous deux on a vu...

Les petits enfants qui tombent du balcon
toute leur enfance défile sous leurs yeux
Alors ils regardent ce qui se passe autour d'eux
Ils s'échappent, s'envolent devant les fenêtres

Tout est redevenu étrangement calme
ça cache kekchose, je l'entends plus crier mon nom
L'courant peut plus passer, si ça continue
j'vais m'découper suivant les points, les pointillés
Vertige de l'amour

J'ai longé ton corps, épousé ses méandres
je me suis emporté, transporté
par delà les abysses, par dessus les vergers
J'ai fait la cour à des murènes
j'ai fait l'amour, j'ai fait le mort
Eteins une à une les lumières
Reviens, va-t'en..."


Découvrez Alain Bashung!

vendredi 13 mars 2009

Prof de merde !!!

La sentence est tombée. Définitive. Tel un vieux couperet rouillé.

Depuis, je doute : suis-je effectivement un "prof de merde" ? Quel est mon rôle dans ce bahut ? Le joue-je bien ? Ai-je passé déjà onze années de ma vie professionnelle à patauger dans la fange ?

Bon, ne dramatisons pas non plus, ne commencez pas à vous inquiéter pour moi, cette sombre remarque m'est venue de l'experte ès enseignement en zone difficile, la "charmante bien que professionnelle" Miléssa Clash, une des pointures de mes 6èmes BriseNoix.
Je sens poindre un début d'enthousiasme chez les plus cyniques de mes lecteurs, qui piaffent d'impatience à l'idée de lire les énormités en tous genres effectuées par cette classe. Ce à quoi je réponds : vous allez être servis.
Mardi dernier (oui, je sais, ça fait quatre jours, mais j'ai mis du temps à m'en remettre...), je sors assez en forme de la salle des profs à 8h25, café noir avalé, bonjours esquissés, sourires osés. Je suis pas arrivé sous le préau que je découvre les deux Miléssa de la classe en train de papauter discrètement, telles deux dindes sous morphine (on tape néanmoins sur les 125 décibels, et il est encore tôt...). Je leur envoie très doucement et très gentiment un : "allez, les filles, il faut se ranger, on va monter en classe" et là, la Miss Clash maugrée un "pffff allez, c'est bon, pfff, marre...c'est bon, on va y aller, c'est pas vrai..."
Je stoppe là mon haletant récit pour amener du grain à moudre dans le moulin Miléssa Clash qui tourne à plein régime : c'est le cas typique de la môme qui s'énerve pour un rien, complètement parano, qui ne supporte pas qu'on lui reproche quelque chose, et qui surtout manifeste son mécontentement de manière particulièrement outrancière, faisant passer toutes les divas et les baleines du globe terrestre pour des modèles de sobriété et de discrétion. Bref, Miléssa est caractérielle, comédienne, complexée et insupportable. Mais elle sait parfaitement quand elle a dépassé les bornes, puisqu'elle vient régulièrement s'excuser de ses comportements hystériques, avec moults rougeurs de joues et larmes non feintes. Déjà quatre fois que la Cantona des BriseNoix s'emporte et quitte le terrain de jeu comme elle quitterait une scène de théâtre, pour revenir penaude se faire pardonner son vilain jeu de d'actrice too much.
Et aujourd'hui, c'est la fois de trop.
Je m'arrête et l'arrête : "ah, non, Miléssa, ne commence pas ce jeu-là, tu te calmes, et tu vas te ranger, ok ?
- Non, mais c'est bon, je peux parler, non ? Lâchez-moi, c'est bon, y'en a d'autres, allez..." et la voilà qui s'excite, le couperose dévore son visage, elle part rapidement, direction opposée à sa classe déjà rangée et qui nous attend.
Je cours à ses côtés, monte le ton et lui assène :
- Stop ! Maintenant, tu arrêtes, tu te tais, et tu vas te ranger comme tes camarades !
Et hop, demi-tour direct, regard presque méchant, elle me passe devant, direction le rang des BriseNoix, et lâche un trop fort : "Mais il m'enfade, ce prof de merde..."
Re-Stop. Test de vocabulaire.
"S'enfader" : pour qui habite au delà de la frontière séparant les Pyrénées-Orientales de l'Aude, "s'enfader" ne veut rien dire. Or, c'est le mot qui sert à tout dans le 6-6. Grosso modo, j'ai contrarié Miléssa, voire énervé, voire cassé les noix. Pour "merde", je pense que tout le monde aura compris.
Merci de votre attention.
Je crois rêver. Elle m'a insultée. J'avais eu droit auparavant à un "sale race" quand j'étais nordiste. Mais ça faisait longtemps, tiens. Je l'attrape par son col : "T'as parlé à qui, là ?" de la manière la plus super pas contente que je puisse faire.
- Mais c'est pas à vous, c'était à Miléssa (l'autre...)...
- C'EST UNE PROF, MILESSA ?????
J'ai failli finir par un "pétasse ???" mais j'ai pas osé. C'était moins une. Elle m'insultait PUIS se foutait de ma poire.
Elle ne bouge plus, tremble. Je reviens vers le rang qui me regarde assez éberlué. Je demande à mon assistante d'éducation de monter la classe dans la salle car je vais m'occuper du cas Clash.
Je la ramène sans piper mot devant le bureau des C.P.E. fermé. Je la regarde fermement, elle n'ose pas, elle n'ose plus.
"Tu restes là, je monte avec les autres, je vais revenir, j'en ai pas fini avec toi..."
Silence, séquences chocottes.
Classe des BriseNoix, étrangement calme.
A mon arrivée, les regards me scrutent (bon, à part Kookaï qui fait jamais rien comme les autres, de toute façon) et je me dois de leur expliquer :
"Je viens de me faire insulter par votre camarade, c'est inadmissible...je vais devoir m'absenter après pour m'occuper de son cas. En attendant, on est en cours, et je ne veux PLUS AUCUN BRUIT, C'EST PAS LE JOUR". J'ai du finir à gorge déployée. Cela fait du bien.
Pendant une demie-heure, relative attention, avec même son lot de perles et anecdotes qui redonnent le sourire. Un exemple :
On parle des dernières infos, Fétide annonce à la classe qu'il a entendu parler "d'un viol fait sur une fille de 10 ans et qu'ils ont donné des jumeaux que la fille elle veut pas trop mais enfin c'est parce que elle peut pas pas les avoir, mais c'est interdit alors les gens ils disent ki fait kelle ait les bébés paske ça se fait pas sinon".
Après avoir remis la phrase en ordre et éclairé certains détails, je souligne à Fétide et à la classe le principal problème de cette information.
"Fétide, combien de fois l'ai-je dit ? Quand on donne une info, on dit tout de suite de qui il s'agit et surtout où cela s'est passé ! Sinon, on peut croire, par exemple, que ce viol a eu lieu à côté, à la cité de Fernet-Blanquette, tu comprends"
et là, Khalèche, toujours d'une acuité sans failles :
- Ah C'est ICI ki ya eu le viol, m'sieu ?
- Mais non, c'est pas ici, Khalèche, c'était un ex-emple, juste pour dire à Fétide qu'il n'avait pas donné le pays où cela s'est passé. Alors, où ?
Et, au milieu des réponses plus idiotes les unes que les autres (l'Italie, le pôle nord, le Stade de France, Guadeloupe, Irak, USA, Paris), quelqu'un finit par trouver le Brésil (probable réminiscence de l'info regardée/écoutée la veille) à ma grande joie.
- Oui voilà, ça y est, c'est là.
Et, là, Khalèche surexcité et avide de scoop, se retourne vers tous ses voisins de table :
- Ah ouais, c'est là ? C'est là ? Quelle tour ? Quelle tour, le viol...?"
Entre la corde et le flingue, je vais choisir ce dernier, c'est plus rapide.
Surtout pour le dernier quart d'heure de la séance, où je n'étais plus qu'un fond sonore au milieu du doux vacarme de conversations entre voisins. Du coup, je me suis arrêté, me suis assis, ai ouvert le journal qui nous servait de document pédagogique, ai commencé à le lire silencieusement, pendant que les discussions s'amenuisaient. Jusqu'au silence, que je stoppe en lancant : "Eh bien parlez !"
la classe : Mais...
Moi : Alors quand on vous dit de vous taire, vous parlez ; et quand on vous dit de parler, vous vous taisez...alors, je le redis : Parlez entre vous, je m'en fiche maintenant !
Kookai : Mais on parle de quoi...?"
Retour chez les C.P.E. Ils ont su pour l'affaire, appellé les parents qui viennent demain (super, je serai pas là) et en attendant, discutent avec Miléssa et vont la renvoyer chez elle. Je dois faire un rapport de comportement, et on verra avec la hiérarchie. J'ai tout fait, tout signé, Miléssa ne revient au collège que Lundi, après trois journées d'exclusion. J'espère avoir au moins quelques excuses de sa part, même si des collègues m'ont parlé de ses pleurs intenses après cette altercation malheureuse.
Mais moi aussi, hein, franchement, lui couper la parole pour lui demander de se ranger...j'exagère un peu, quand même...je suis peut-être un prof de merde, en fait. Trop méchant avec les élèves, aucune liberté d'accordée, "C'est pas Disneyland, la vie" que je leur répète souvent.
Peut-être que je me trompe. Peut-être qu'effectivement, la vie devient Disneyland et que tous les élèves ont tous les droits. Hébé tant pis, tant qu'on m'aura pas prévenu, j'oserai encore interrompre Miss Clash dans ses élucubrations beuglées pour lui demander de se ranger. Je sais, c'est risqué, mais que voulez-vous, je suis trop un ouf dans ma tête, quoi !

mardi 3 mars 2009

Allo Kookaï, Ici la Terre...

Diantre. Serait-ce le fruit d'un travail acharné, d'un labeur intense et d'une efficacité à toute épreuve ? No sé. Mais le résultat est plutôt visible, du moins dans mes séances : mes 6èmes BriseNoix ne le sont plus. Ils sont même, osons les mots inattendus, attentifs...
Bon, tout est relatif, c'est pas non plus la panacée, y'en a toujours à faire sortir se calmer cinq minutes, d'autres qui blablatent sans arrêt, d'autres toujours complètement à l'Ouest. Mais le fait est que sur la séance d'aujourd'hui, entre débat sur les manifestations dans les DOM et choix des musiques qui accompagnent leurs productions vidéo, mes chers CasseNoisettes furent presque agréables à éduquer.
Néanmoins - j'aime ce mot, difficile à prononcer quand t'as le nez bouché, un peu péteux quand tu le sors dans une discussion et surtout qui te rend tout d'un coup plus attentif - néanmoins, donc...y'a toujours une brebis égarée dans ce fantasque lot de troupeau alpin, et ce n'est jamais la même. Aujourd'hui, m'sieurs-dames, je vous demande d'applaudir...Kookaï.
Ce gosse est déjà mal parti avec son prénom de créateur japonais qui lui va pas franchement à ravir. Mais le problème est que ça ne s'arrête pas là : Kookaï possède à mon sens ce que bien des artistes et des poètes devraient posséder : SON univers. Kookaï est là, physiquement présent, devant toi, léger sourire indécis sur le visage, l'air d'avoir compris, alors que pas du tout : Kookaï réceptionne tes dires depuis sa stratosphère qui est quand même, vu le temps de réception des messages, hyper méga loin. Vous demandez "Comment vas-tu, Kookaï ?", et Kookaï vous répondra dans une minute : "Non mais c'est parce que voilà je sais pas où aller, j'ai pas compris ce que vous dites, vous parlez trop des fois, je comprends plus". Trois mots dans ma question. J'ai "trop parlé". Soit. Parfois, je pense que Kookaï se drogue.
Aujourd'hui, milieu de matinée, Kookaï se pointe seul au C.D.I, vingt minutes après tous les autres élèves d'autres classes venus travailler. Aucun des 6ème BriseNoix n'est là, j'en conclus qu'il y a un souci. Je m'avance vers Kookaï qui regarde partout, avec son air à la fois presque vivace et complètement mollusque, c'est très difficile à expliquer, l'impression qu'il donne d'aller vite, mais au ralenti.
"Ah, c'est vous..."
Oui, au C.D.I., à part ma collègue, il y a des chances pour que l'on tombe sur moi.
"Pourquoi es-tu ici, Kookaï ?
- Non mais c'est parce que je sais pas où aller, là...
- Tu t'es fait exclure de cours ?
- Non.
- Bon, mais alors où est ta classe ?
- Je sais pas, elle est en classe.
Je sens qu'on va pas avancer.
- Donne moi ton carnet, jeune homme. On va vérifier.
- Non mais c'est parce que je crois que on est avec la prof de français...
- Ben oui, je le lis, là. T'es en Français ou en aide aux devoirs.
- Oui, voilà, en aide aux devoirs, là, voilà, en français.
Ma machine à baffes virtuelles va s'enclencher rapidement.
- Kookaï...
Il ne me regarde plus, le vaisseau est reparti.
- KOOKAÏ !
Implosion d'Ariane en plein vol, Kookaï se crashe à vitesse grand V.
- Oui, monsieur...
- Tu es SOIT en français, SOIT en Aide aux devoirs. Groupe 1 ou groupe 2. Tu es dans quel groupe ?
- Quel groupe....? Mais je sais jamais...
- Tu te fous de moi ?
- Mais non, je me fous pas de...
- On est en Mars, tu sais pas dans quel groupe tu es ???
- Ben non, on nous le dit jamais...
- Kookaï..juste pour vérifier...tu es dans quelle classe ?
- Moi ?
- ...
- Ben, 6ème.
- Certes, mais laquelle ?
- ....
- Son nom ???
- ....ah mais vous voulez dire un nom, comme le nom de BriseNoix, comme ça ?
Alleluia. Je vais finalement pas avoir besoin de défibrillateur, je l'ai pas totalement perdu (même si c'était limite).
M'en allant quémander à la CPE où devrait être Kookaï en ce tragique milieu de matinée, voilà-t-il pas que Falballah, grande prêtresse des surveillants, débarque d'un pas vigoureux en me souriant : "Est-ce que Kookaï de la 6ème BriseNoix est ici ?"
Je me retourne.
- Ben oui, regarde, il est là, il sait plus dans quel grou...
- Kookaï, dit Falballah super méchamment, de quel droit tu t'auto-exclues ?
Je me re-retourne sur Kookaï qui suit des yeux des nuées de libellules imaginaires au-dessus de lui. La "machine-à-baffer-jusqu'à-ce-qu'on-voit-les-moignons-de-ses-mains" est virtuellement enclenchée. IL se fout de moi. Et, à travers les multiples mondes imaginaires qui nous séparent à cet instant-là, il doit sentir que je suis quelque peu agaçé. Enfin j'espère.
- Non, mais en fait, j'allais vous le dire, là...
- Quoi ?
- Ben non mais que j'avais été exclu tout seul.
- Bon OK, j'ai compris, tu te fous de moi, ça fait dix minutes qu'on bataille pour rien, alors que tu as fait sauter le cours de Français, arrête deux minutes, et suis-moi.
- Non, mais en fait, pour le français, je sais pas...
- Tais-toi.
- Mais je vous ai pas dit que j'étais pas y allé en cours, parce que j'y ai pas allé en cours, en fait, c'est parce que je sais pas si je dois y allé en cours, je compren...
- TAIS-TOI !!!
Chez les CPE. On attend dans le couloir que la CPE des 6ème débarque, je continue à débattre avec Kookaï qui semble en apesanteur, la soupape d'aération a du être enclenchée lors de ma montée d'adrénaline (souvent très sonore), et un des autres CPE se bidonne dans son bureau en écoutant notre dialogue de sourds. Arrive la CPE et une collègue de l'équipe pédagogique de la classe, elles écoutent la situation, hallucinent un peu (moins qu'avant, tout de même, on commence à les connaître, on est limite anesthésiés) et à la question " Mais pourquoi lui as-tu menti ?", le créateur japonais répond "Mais en fait, j'allais lui dire, mais y'avait trop de choses que Monsieur L. disait après j'ai plus compris, et après je sais plus ce que j'avais fait avant..."
On en saura pas plus, chacun regagne son rang, avec toujours les mêmes interrogations.
Dans deux heures, Kookaï sera revenu me voir pour s'excuser, avec une phrase tellement récitée et marmonnée que je penserai d'abord qu'on lui a dit de venir s'excécuter ; puis je mènerai ma petite enquête pour m'apercevoir que c'est de son plein gré qu'il est venu m'implorer le pardon, et je penserai alors que Kookaï a tellement mémorisé sa phrase d'excuse dans l'hyperespace qu'elle apparaît entre ses lèvres si impersonnelle. Trop de récitation tue l'émotion, mais pas l'intention.
Mauvaise foi, disent les uns. Schizophrénie, disent les autres. Bonhomme perdu dans la Matrice, imagineront les cinéphiles. Foutage de gueule, pensent beaucoup. Cas intéressant, décident les rares pseudo-psys du bahut. Quoi qu'il en soit, Kookaï est un peu notre E.T., un gentil alien dont on ne comprend que peu le raisonnement, un cas à part dans la classe, là et pas là, mais très très souvent ailleurs. J'espère au moins que là-bas, pour lui, l'herbe y est plus tendre...

mardi 24 février 2009

Une certaine philosophie de la life...

Melchior vient d'entrer au C.D.I. et s'est approché une chaise tout près de mon bureau, à environ dix centimètres de ma tête. De nature assez perspicace, je crois comprendre que Melchior veut me parler, et quand Melchior veut parler, on s'arrête et on l'écoute.

Melchior est un gitan sédentaire, inscrit au collège depuis au moins quatre années, et plus ou moins présent, suivant le temps et l'envie. En quatre années, Melchior n'a pas beaucoup grandi, mais pas mal mué : petit corps musculeux qu'il exhibe dès que le thermomètre dépasse les 15°c, des poils un peu partout, une légère balafre ou cicatrice à la joue (Melchior a vécu...), une coupe de cheveux virile et la dégaine qui va avec. Melchior est devenu un mec, mais à l'intérieur, c'est un grand gamin. Avec sa naïveté et sa légère connerie de môme assez fou-fou. Sauf qu'aujourd'hui, Melchior ne frappe pas dans ses mains en beuglant un flamenco inspiré, Melchior ne tape pas sur quelqu'un pour marquer son territoire, Melchior ne hurle pas à l'entrée du C.D.I., Melchior est juste venu s'asseoir à mes côtés, en souriant. Melchior est donc très fatigué, mais a envie de causer.

"Bonjour, Melchior.
- Bonjour, monsieur. Tu vas ?"

Les gitans tutoient, impossible de les faire changer. En même temps, s'ils se mettent à vouvoyer, c'est plus ou moins une forme de distance, de mépris. Autant en rester là, la lutte est usante.

"Je vais, et toi ?
- Maaaa...je réfléchis."

Scrutage intense et limite dérangeant de mon alliance.

"Maaaaa..elle est belle ta bague, elle me brille dans les yeux. T'es marié ? T'as des niños ?"

Allons bon, moi qui pensais avoir opté pour une alliance surtout pas bling-bling, c'est raté. Apparemment, elle crève les yeux noirs de l'adolescent. De plus, il semble la découvrir aujourd'hui, alors qu'elle brille de mille feux (donc...) depuis le début de l'année scolaire.

"euh...ça te regarde pas trop, Melchior, mais oui, difficile de le cacher, je suis marié, oui. Et j'ai un petit garçon.
- Ahhh, c'est fini les femmes, hein, toutes les femmes qui passent, maahh, tu les regardes plus, non ?"

Je souris, c'est ma seule arme devant la désarmante réplique de Melchior qui apparemment veut causer des choses de la vie. Le connaissant, je me dis qu'il va falloir assurer. Allons-y.

"C'est sûr qu'en se mariant, tu deviens fidèle à la femme que tu épouses. Mais tu peux quand même regarder les autres femmes, tu n'es pas aveugle, les femmes sont belles...
- Moi, je veux pas me marier, et je veux pas avoir de niño. Bah, des niños, t'es en prison avec, tu fais plus rien.
- Mais tu es jeune, Melchior, c'est normal que tu veuilles pas encore te marier, t'as le temps...
- Oui, mais plus tard, zéro enfant, je veux.
- D'accord, j'ai compr...
- Ou alors trois"

Ah. Pas de demie-mesure chez les manouches. Le gris n'existe pas, c'est le blanc ou le noir, tout ou rien, tu choisis ton camp.

"Oui, enfin y'a une marge, Melchior...entre aucun et trois...tu peux avoir un seul enfant, tu sais.
- Mais oui, je sais, je sais comment on fait pour faire niños, tu sais pas, toi ?"

Vexé, le roi mage de la cité. Je vais pas continuer le débat en faisant remarquer que j'en ai déjà un, de niño, donc niveau mode d'emploi, j'ai saisi. Passons à la suite de ce passionnant échange...

"Oui, bon Melchior tu verras plus tard, t'auras peut-être envie de fonder une grande famille, comme tes parents, attends un peu.
- Et si la femme, elle en veut six ?
- Ben, vous n'aurez qu'à couper la poire en deux : vous en faites quatre et demi !"

Je suis pas peu fier de ma blagouze. Sauf qu'il n'y a que moi que ça amuse. Long temps de réflexion chez le manouche, jusqu'à ce que la sauce monte :

"Mais, t'es fou toi...tu veux que je découpe un niño ?? Mais la femme elle en mourra ! ça va pas, toi !"

Ecoeuré, il se barre, me laissant dans mon grand étonnement et mes "je plaisante, Melchior" qui tombent à l'eau.

Je crois que je ferais un très mauvais psychothérapeute.

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C'est avec un plaisir non dissimulé que j'ai retrouvé mes chers 6ème BriseNoix, revenus de leur périple montagnard. Je me demande encore comment ils ne se sont pas retrouvés sous une avalanche, vu le niveau des décibels quand ils parlent tous ensemble.
Un peu moins furibards qu'à l'accoutumée, peut-être que le grand air a fait son bénéfique effet, nous avons pu travailler à peu près correctement, espérons que cela se poursuive...

(je sens poindre une mini déception chez vous, mais je n'ai rien à vous mettre sous la dent côté perles des BriseNoix, sachez que j'ai été autant déçu que vous à la fin de ce cours...sur ce...)


Et pour rester dans le sujet cher à Melchior, afin de ne pas trop regarder les femmes, une bonne claque musicale (97...si loin...) :

http://www.clipzik.com/miossec/la-fidelite.html