mercredi 30 septembre 2009

Pov' mômes...

J'anime au sein du collège un club journal, manière de sensibiliser les élèves au monde des médias, de leur apporter un minimum de sens critique, et leur faire travailler un peu l'écriture et la lecture. Par contre, on est pas en cours, ils ont donc tout loisir pour choisir les sujets sur lesquels ils veulent écrire et débattre. A part deux élèves, qui adorent émettre leur avis sur la crise financière, Barack Obama, les travers de notre gouvernement, la grippe et les risques sanitaires, c'est plutôt le rase-mottes général quant aux thèmes abordés : la catch, les animaux dangereux, les océans, le foot, la mode, les jeux vidéos, les "bébés-siamois-qui-zont-été-séparés-par-le-docteur-mais-que-ça-a-pas-marché-que-un-il-est-mort-maaammaaaaa-ça-fait-de-la-peine", voilà en vrac les passionnants reportages que mes journaleux veulent en Une de leur canard préféré.

J'ai mon petit harem de fidèles, quatre années qu'ils tiennent la barre de ce club réservé à ceux qui mangent à la cantine (80 élèves seulement) ET à ceux qui aiment animer et écrire dans un journal. Bref, y'a pas foule, mais c'est tant mieux, je me vois mal avec une équipe de rédaction de plus de dix membres. Cependant, chaque rentrée approte son lot de curieux 6èmes qui s'inscrivent au club "pour essayer". Et cette année, je sens que cela ne va pas être triste. D'abord, il y a César, totalement azimuté, qui balance des phrases sans logique, pas toujours compréhensibles, et qui te parle en ayant toujours les yeux en l'air ou sur les côtés : pas net, le gars. Et avec une idée d'article différente toutes les 20 secondes. Plus rapide qu'une dépêche AFP, le César.

Mais il y a mieux (ou pire), y'a Tonio. Tonio s'excuse mille fois d'avoir cinq minutes de retard à ton rendez-vous de début de club, parce que la maman de Tonio a fait un dessert un peu trop en retard et qu'il a pas eu le temps de le manger à l'heure, c'est pour ça qu'il est en retard, Tonio t'explique (à cinq centimètres de toi) qu'il veut venir au club journal parce que ça l'intéresse de faire des choses de journal dans le collège paskil vient d'arriver et qu'il est nouveau et que il veut savoir comment c'est bien ou pas de faire du journal avec des élèves et que c'est mieux aussi paskil veut pas rester trop chez lui à midi pour pas embêter sa maman qui fait la vaisselle et qui est fatiguée, Tonio sait pas comment ouvrir l'ordinateur paskil en a pas chez lui et que il paraît kil faut un code mais qu'on lui a pas donné paskil est nouveau et que il faut attendre que le monsieur des ordinateurs il vienne pour donner les codes à tout le monde et qu'en attendant il sait pas comment faire, Tonio dit toujours s'il vous plait paske sa maman lui a dit qu'il faut parler comme cela aux professeurs pourqu'ils nous écoutent, et Tonio demande s'il peut prendre une chaise pour s'installer devant l'ordinateur mais que monsieur il faut quand même que vous veniez pour me mettre un code que j'ai pas paske le monsieur de l'informatique, il a dit que....

Tonio est gentil. Je ne veux pas dire de mal, mais effectivement, il est gentil.

Petit et mince, tâches de rousseur, yeux bleus très clairs et très vides, coupe improbable (hérissée devant, mullet derrière), Tonio ressemble à un footballeur allemand des années 80 qui aurait oublié de s'épaissir. Tonio m'a déjà épuisé, il a obtenu un code informatique (le mien en attendant), scrute l'écran de l'ordi bloqué sur la page d'accueil de Google, et plonge dans les méandres de son cerveau pour trouver une idée originale à traiter pour le journal, et voilà-t-il pas qu'il me porte l'estocade finale, moi qui suis déjà sur les rotules :

"Monsieur, je peux faire un article sur ma mère qui vient d'avoir un nouveau travail chez Leclerc ?"

Bon, je vais oublier ma grande ambition de les faire réfléchir sur la crise que traverse les médias et les journalistes.

"Euh....moui, pourquoi pas, Tonio ? Mais attention, et là, je m'adresse à TOUS, n'oubliez pas que vous écrivez dans un journal, qui va être lu par TOUS, donc il faut penser que ce que vous écrivez, les autres vont le lire, cela doit les intéresser, pensez des sujets qui peuvent intéresser le maximum de lecteurs, d'accord ?
-D'accord, monsieur, répond Tonio, je vais écrire sur le nouveau travail de ma mère, alors".

Allez c'est le début, on va y aller mollo, je m'approche de Tonio :
- Comment tu vas commencer ton article ? Tu vas peut-être parler de ta maman, de ce qu'elle faisait avant ? Elle avait déjà un travail ? Ou elle s'occupait de ses enfants, de tes frères et soeurs ?

Et là, le grand déversoir des âmes s'active, sans respiration.
- Non mais en fait, ma mère elle a changé de travail paske elle avait trop mal au dos, ils ont pas voulu la garder dans l'usine où elle mettait des salades dans du plastique et qu'après, des camions ils amenaient les salades dans des magasins et des marchés pour que les gens ils achètent les salades de plastique que ma mère elle a emballé. Et après, elle a rien fait pendant plein de jours et elle pleurait un peu. Et puis Leclerc l'a appellé et alors là, demain elle va commencer son travail de chez Leclerc elle est contente paskelle est augmentée dans son travail maintenant elle fait caissière et elle va passer les légumes et les paquets et après les gens lui donneront la carte de banque pour payer elle pourra leur parler aux gens, elle est contente.
Tonio rayonne, moi moins, j'ai du mal avec ces déballages, mon petit coeur saigne.
- c'est vraiment bien pour ta maman, je suis très content pour elle.
- Alors, je peux écrire sur son nouveau travail ?
- oui, tu peux.

Sans commentaires.

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Le mardi suivant, nouvelle séance du club journal, César in the sky with diamonds est physiquement présent, Tonio aussi, mais beaucoup moins présent.

"Alors, Tonio, on va finir l'article sur ta mère ?
- Non, je vais changer l'article sur ma mère, je vais faire sur le foot qu'on fait au collège à midi.
- Mais pourquoi ? Il est bien cet article !
- Oui, mais c'est paske ma mère elle a plus son travail à Leclerc, elle a trop mal au dos et elle peut pas faire la caissière assez longtemps, alors Leclerc il a dit que l'essayage c'était pas bon et que Leclerc allait pas la garder au magasin pour la caisse. Alors je peux plus faire mon article."

Il me regarde de ses grands yeux tristes, en me souriant. L'idée de l'article sur le foot le botte.

Il suffit parfois d'un Tonio épuisant pour te donner envie de faire la révolution. Ces élèves, qu'ils soient gentils ou difficiles, vous tuent lentement. Avec chacun leurs méthodes.

vendredi 25 septembre 2009

Fa-ti-gué...

donc rien de tel que deux petits morceaux savoureux pour se requinquer. Gageons qu'à leur écoute, vous aurez envie de siffloter, respirer l'air à pleins poumons, danser comme des faux rappeurs en agitant deux doigts devant le nez type street credibility, chanter, sauter partout comme des idiots, mover, faire le sexe, lever les bras en l'air comme si vous êtiez la roi (reine) du monde, hurler, se déhancher, dodeliner de la tête, s'envoler, faire le con, courir à donf, plonger dans l'eau froide, pogoter en faisant semblant de connaître les paroles que vous captez même pas, faire des bisous à tout le monde, aimer, vivre.
Et, last but not least, ces deux artistes sont français !
Bon week-end !



samedi 19 septembre 2009

Du single génial au morceau niais, y'a qu'un pas...

Deux morceaux qui trottent dans la tête, deux singles qui caracolent dans le top des ventes et des diffusions radios, et pourtant...d'un côté, la très pulpeuse Scarlett Johansson et sa voix chaude type Amy Winehouse aide un jeune guitariste doué, Peter Yorn, à se faire un nom. C'est rockabilly, stylé, classe et entêtant, le single dans toute sa splendeur.
De l'autre côté, une jeune blondinette annône d'une voix plutôt crispante (lire "nasillarde") des mélodies souffreuteuses empruntées à la Carla Bruni (sans voix suave), avec paroles insignifiantes et piano easy-listening de rigueur. mais très entêtant aussi - dans le mauvais sens du terme.
Ma question : peut-on aimer ces deux succès à la fois ??



mercredi 16 septembre 2009

Des tripes, du sang, des larmes...et des morts qui dansent.

Blog de mon collège saison 2.
Comptez pas sur moi pour vous faire voir des zolies photos de vacances, vous narrer mes baignades, mes journées bricolage-jardinage, mes soirées poteaux ou mes embouteillages sur les autoroutes du soleil, on est pas sur fessebouque ici.
Donc, même pas d'excuse valable pour le trou estival et béant sur ce blog, on reprend à zéro, c'est la rentrée réelle comme virtuelle. Et comme elle a démarré sur les chapeaux de roue, autant ne pas se priver.
Les rentrées se suivent et se ressemblent quelque peu. Le premier jour, c'est les retrouvailles, les "comment ça va ? putain comment t'as pas bronzé t'es resté deux mois en Bretagne ou bien ? eh mais toi t'as l'air déjà crevé ! non mais j'étais hier encore en Andalousie tu comprends plus tard je reviens mieux je me porte. tu m'étonnes...". Ce sont aussi les nouveaux (peu nombreux cette année) que l'on scrute en se demandant s'ils vont tenir le coup face aux mômes, certains qui pleurent déjà d'avoir été mutés ici, d'autres qui ont l'air motivés, prêts à ne pas céder face au cyclone ado qui débarque dès le lendemain. Ce sont aussi les anciens, visages qui rassurent, d'autres qu'on avait oublié un temps et qu'on n'a pas envie de revoir là maintenant aussi tôt, d'autres qui nous manquaient depuis un bon moment, d'autres avec qui on aime partager neuf mois de galère et de rires. Mais ça, c'est la première journée, cool, décontractée, chemise-short-tongs, emploi du temps, cour et salles vides, le calme avant la tempête...
Jour 2, 3, 4 et suivants...
Ils sont tous là. Bigre, on les avait presque oubliés, d'ailleurs certains noms ne me reviennent pas. Les 6ème ont l'air gratinés cette année, déjà une prof de maths qui vient de les avoir quatre heures et un élève qui sort de sa classe à midi et se retourne "vous êtes qui, déjà, m'dame ?", et d'autres qui ont l'air carrément dans la quatrième dimension mais à leur décharge, le premier jour dans un collège, c'est difficile pour tout le monde. L'originalité de cette rentrée, disons ce qui marque le plus, c'est la gitanerie ambiante. Non pas qu'il y ait davantage d'élèves gitans cette année, mais disons qu'on les entend beaucoup. Trop. Et qu'ils se font sacrément remarquer, à grands coups de beuglantes mains frapées claquettes au sol. Un vrai festival de flamenco dans les couloirs du collège et aux portes des classes, allant même jusqu'aux recoins du C.D.I. où des complaintes s'élèvent, narrant le malheur d'être obligé de se taper un livre sur Madame Bovary alors qu'on préfèrerait être dehors. Cette rentrée, plus que les autres rentrées, le collège ressemble à une immense salle de casting de la "Star Ac'" : ça chante, ça danse, ça rejoue des scènes des pires vaudevilles, ça tragédie à tout-va, je vous raconte même pas le nombre de Molières et de Victoires de la Zique qu'on aurait pu décerner en même pas une semaine. Grosse fatigue.
Mais passons du plan général au détail qui tue.
La 6ème Flaubert, donc. La classe où on connaît pas le nom de la prof alors qu'on a passé 4 heures avec elle. Elle débarque au C.D.I. avec son prof de français monsieur Vichicélestin qui, pourtant habitué aux classes pénibles, se dit que là, on a atteint des sommets. Séance de découverte du lieu de culture et d'information, et recherche autour de l'écrivain dont la classe porte le nom, ainsi que sur son oeuvre. Pendant que les élèves essaient d'écrire le travail du jour, je dépose à côté de chacun d'eux un dictionnaire. Mais, en m'approchant de Cassandre et lui posant un peu trop fort l'épais ouvrage sur sa table, celle-ci bondit d'effroi en reculant et en hurlant : "RRRRHHHHAAAAAA mais il est fou lui ! Tu veux que moi je lise çAAAAAAAAA"...
Tiens, ça faisait longtemps, le son mélodieux mais très guttural des gitanes qui se pètent la gorge (en te pétant au passage un tympan), juste pour te signifier qu'elles ont un avis à donner.
"Mais Cassandre, c'est un dictionnaire ! Tu ne vas pas tout lire, il faut juste chercher des renseignements sur Flaubert..."
- MMMAAAAAA je sais pas moi je suis pas une payou !"
Fait évident, même si je vois pas bien le rapport. Après quelques minutes un peu lourdasses à rappeller le principe d'un dictionnaire (certains avaient l'air d'en voir un pour la première fois de leur existence), tout le monde se met à feuilleter les pages à la recherche du mot propre demandé. Ambiance intimiste, quasi religieuse, personne ne bronche, ne reste que le son des feuilles tournées, on se repose. Pas pour longtemps...
Djizeuss (comme ça se prononce) se met à hurler "las tripas, las tripas, LAS TRIPAS !!!!" en se levant comme s'il avait vu le diable dans le dico.
PAUSE.
Pourquoi Djizeuss ? parce que. Sachez, tas d'incultes sur la question manouche, que la communauté ne s'embarrasse pas de fioritures et qu'elle est souvent d'une imparable logique. Par exemple Mike, son prénom sur le papier s'écrivait "Maïke" ; et quand je lui expliquais que j'avais jamais vu ce prénom écrit ainsi, en lui montrant l'autre orthographe, celui-ci m'avait répondu : "rhha mais non, là tu le dis Mique, ça va pas". Vraiment imparable, la logique.
Djizeuss, donc, "la chose" de la 6ème Flaubert. Un truc incontrôlable, pas vraiment méchant, juste imprévisible et super pénible.
FIN DE PAUSE
Je fonce sur Djizeuss, toujours en train de hurler "LAS TRIPAS, LAS TRIPAS" debout, le doigt pointé sur une page de dictionnaire. Je regarde cette page. Une planche en couleurs, anatomie du corps humain, muscles, viscères, nerfs. Et les intestins. Les tripes, quoi. Couleur sang et blanc sale. Las tripas.
Je regarde Djizeuss, comme possédé, genre L'exorciste avec de la gomina dans ses cheveux moitié décolorés. Je regarde ensuite Monsieur Vichicélestin, complètement blasé, avec sur son visage une expression inconnue, à mi-chemin entre "non mais je rêve" et "suicidez-moi, là". Nos regards se croisent, et, là, ce que l'on redoute souvent : le fou rire. On se retourne tous les deux, dos à dos, visages un peu dissimulés, tentant de renfermer nos débuts d'éclats de rire, Dieu que c'est rude, avec l'autre qui continue à psalmodier ses tripas devant une classe à la fois ébahie et souriante, un spectacle gratos, ils en redemandent. Tout cela dure à peu près deux minutes. Une éternité quand tu es en séquence avec élèves.
Et tout à coup, il referme le livre, énervé. Il se tait un peu, puis recommence à maugréer des phrases sans sens, mais estimant qu'il a gagné son coup, il a fait rire l'assistance, le mec est pas peu fier de son interprétation. C'est le moment de régair, Vichicélestin semble désarmé, j'ordonne donc à Djizeuss de se calmer ailleurs, en l'occurence hors du C.D.I., à la vie scolaire. Djizeuss refuse pas, il s'avance même vers la porte que j'ai ouverte, en effectuant un pas de danse à la moonwalk, probablement un dernier hommage au roi de la Pop. Celui-ci doit se retourner dans sa tombe, l'imitation de Djizeuss est même pas digne d'un roulé à la Aldo Maccione. Un ridicule assumé, trop fort le Djizeuss, il attend même les encouragements de sa classe qui ne viendront jamais, bonjour la vieille honte.
Arrivés tous deux à la vie scolaire, je lance calmement : "je vous ramène ce jeune homme qui hurle comme un possédé parce qu'il y a des intestins sur une page de dico, et qui se prend pour Michael Jackson". Les surveillants me regardent, sourire en coin, ils me connaissent, et, visiblement, ils connaissent bien Djizeuss aussi. Ce dernier a pas l'air bien content de ma description des faits, il se retourne, regard mauvais, bovin mais mauvais : "eh mais quoi tu dis, toi ? moi, je suis Mikaeulle Jaquesaune, moi, regarde, moi, je sais le faire comme lui" et c'est reparti pour un Moonwalk de chez Lidl. Et je pars en balançant :
"Non, jeune homme, Michael jackson, c'est Michael jackson, et Djizeuss, c'est Djizeuss !"
Cloué, le King of ze Loose.
C'est vrai quoi, on peut pas être deux rois à la fois...